C’est un vieux sage de la «limonade» aveyronnaise. Jean-Claude Cassagnes, patron du Relais Odéon ( Paris 6e) – créateur du pub Saint-Germain- avec près de 70 ans de carrière dans le café parisien- a un peu de recul. A l’heure des « stories » d’Instagram et autres « dark kitchens », le bonhomme n’a pas perdu le nord et demeure d’un optimisme inébranlable tout en continuant de croire aux valeurs de la «limonade bougnate. »
On n’a jamais connu une si longue fermeture des cafés parisiens ?
Bien sûr, ça n’a jamais existé. Même durant les deux guerres mondiales. Mon grand-père m’avait parlé de la grippe espagnole apparue en 1918, là aussi les bistrots avaient fermé et les gens portaient des foulards.
Durant la guerre de 40 et l’occupation, les bistrots avaient vite rouverts. L’alcool fort était interdit mais Richard avait sorti un apéro vin cuit.
Pour revenir à aujourd’hui, après tant de mois d’inactivité, la machine ne va-t-elle pas être trop difficile à relancer ?
Je ne crains pas la démotivation du personnel même chez ceux qui auront perdu l’habitude de travailler la nuit ou le week-end. Il y a d’autres raisons qui expliquent qu’on souhaite travailler la nuit par exemple. Ce peut-être parfois, le besoin d’échapper au huis-clos du couple…
Vous ne craignez pas que les clients aient pris d’autres habitudes telles que les commandes en ligne et finalement ne désertent les cafés ?
Ça repartira du « feu de dieu ». Je reviens à ce que mon grand-père m’avait raconté. Lorsque les cafés ont réouvert en 1918 après la grippe espagnole, c’était de la folie, les gens sortaient toute la nuit dans Paris. Et moi, je me souviens de ce que j’ai vu après mai 1968 quand nous avions été fermés durant « les événements ». A l’époque, on ne savait plus où mettre les clients. Et là, ça va être pire…
La notion de fonds de commerce a-t-elle encore un sens après ce que nous avons vécu ?
Le fond de commerce est une notion trop ancrée en France pour disparaître. On changera peut-être de nom, on appellera cela vente de clientèle.
Ce qui est sûr, c’est qu’il va y avoir une baisse des prix des fonds. J’ai déjà pu m’en rendre compte sur deux ou trois affaires en vente où j’ai vu les prix chuter de 30%.
Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est de voir les financiers s’intéresser à nos métiers avec ce que cela peut impliquer comme prise de contrôle car il y a beaucoup d’argent.
Malheureusement, certains bistrots vont « tomber au champ d’honneur » ?
C’est vrai. Je vois entre 25 et 30% de faillites et de fermetures car les banques ne veulent pas suivre. Et ceux qui risquent d’y passer seront les jeunes qui se sont endettés pour lancer leurs affaires.
Et les brasseurs et marchands de vins, comme Tafanel ou Richard, qui en prêtant et cautionnant les gérants ont longtemps été à la base de la « limonade auvergnate », que vont-ils faire à votre avis ?
Pour les « brasseurs », c’est très dur. Il suffit de voir la bière qui était consommée en une journée dans une brasserie parisienne. Mais je pense qu’ils aideront, même si Tafanel ne peut pas tout faire. C’est énorme mais ils feront le maximum.