C’est un livre qui virevolte comme l’accordéon de Jo Privat. Un livre qui sent le pavé de la rue de Lappe. Mais c’est également un requiem pour le peuple de Paname. Près de 600 pages consacrées à ces quelques centaines de mètres carrés symboliques d’un Paris populaire, celui de la Bastoche.
Claude Dubois avance par cercles concentriques. Comme si le temps était une spirale et qu’il revisitait ce lieu mythique de Paris, siècle après siècle, décennie après décennie, à l’aide d’illustres observateurs. De Nicolas Rétif de la Bretonne à Francis Carco en passant par Simenon et nombre de gazetiers et faits-diversiers.
C’est d’abord une plongée dans le ghetto des « Auverpins » établis là depuis Louis XV. Dans cette rue de Lappe, ferrailleurs et ébénistes oubliaient leurs tracas quotidiens au son des cabrettes à deux sous la danse. On vibre comme le cabrettaïre Martin Cayla avec son bracelet de grelots enserrant la cheville. Il faut lire ses pages d’anthologie de la guerre entre la musette et l’accordéon dans les années 1890, entre l’Auvergne et l’Italie. La bourrée française contre la gigue ritale… «Là où l’accordéon et le violon ont remplacé la musette, là où le chahut a remplacé la bourrée, là aussi le franc rire a été remplacé par le couteau.» lançait en 1896 le président de la Cabrette d’alors, Eugène Guitard.
Quelques années plus tard, la hache de guerre sera enterrée. Très vite on va danser la bourrée au son de l’accordéon. La fusion est symbolisée par le succès du tandem Péguri-Bouscatel avec le fameux « bal Bousca » . Avant que le jazz ne déboule avec les Américains en 1918. Le développement du tango signera le déclin des bals-musettes auvergnats.
Mais Bastoche et rue de Lappe ne se réduisent pas à l’Auvergne. Il y a aussi l’emprise du milieu. Pour ceux qui aiment les faits-divers, ce livre est une mine. Evidemment, on y croise Casque d’Or et ses apaches et ainsi des tronches d’un « mitan » si bien dépeintes par Francis Carco. Dans les « bals de famille », les souteneurs, les « barbeaux » prospéraient également… Et leurs protégées, nombreuses, ne furent pas que bretonnes mais aussi juives ou cantaliennes..
.A partir des années 20, ce sont les bourgeoises en quête de sensations et leurs hommes qui viennent s’encanailler rue de Lappe dans des « dancings musettes » moins enfumés que les bals musettes. L’archétype de ces dancings demeure le Balajo où officia Jo Privat durant des décennies. Ce métis italo-auvergnat, incarnation de la rue de la Lappe, gavroche surdoué de l’accordéon poussa l’art du musette à ces sommets. L’édification de « l’Opéra-blockhaus », comme le qualifie Claude Dubois, a refermé la boucle du temps et rangé cette culture populaire dans le registre nostalgique. Où sont-elles passées les javas d’antan ?
La Bastoche, une histoire du Paris populaire et criminel
Claude Dubois
Editeur : Tempus
Prix : 11,50 €
Lire la suite avec l’interview de Claude Dubois : » La Vie Musette n’existe plus à Paris ! «