En cette période périlleuse, l’avis d’un gaulliste acharné ne peut pas faire de mal. Et qui est mieux désigné que Jacques Godfrain, intangible gardien du temple Gaulliste et président d’honneur de la Fondation du grand Charles ? Arrivé à Paris en 1965, le jeune étudiant venu de Toulouse a commencé comme colleur d’affiches au sein du Service d’Action Civique (SAC). Il comptera parmi ses défenseurs lors du violent siège du SAC rue de Solférino par des centaines manifestants le 22 mai 68. Quelques jours plus tard, il lance l’idée d’une manifestation à la Concorde. Près d’un million de personnes défileront le 30 mai 1968 sur les Champs Elysées en soutien au Général de Gaulle mettant un point final aux événements de mai. Député de l’Aveyron (1978-2007), maire de Millau (1995-2008), ministre de la Coopération dans le gouvernement Juppé (1995-1997), il a aussi connu les politicailleries aveyronnaises et les petits coups de poignards dans le dos entre amis.

Dans la période très troublée que traverse la France, voyez-vous poindre un homme providentiel ?
S’il existait on le saurait déjà. D’aucuns pensent l’être – y compris Edouard Philippe pour qui j’ai beaucoup d’estime- mais il n’y a pas d’enthousiasme, car ils font partie de la classe politique. De Gaulle comme Pompidou sont arrivés en étant extérieur.
La constitution de la Ve République qui fut un modèle de stabilité n’est-elle pas devenue avec sa logique majoritaire une gangue qui pourrit le système de l’intérieur ?
Alors faudrait-il des majorités d’idées comme le souhaitait Edgard Faure ? Un jour, on s’associerait avec un tel, le lendemain avec un autre. C’est un peu ce qu’a dit le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, qui pense avoir une majorité texte par texte. Je ne le pense pas. Il faut qu’un Président soit sûr de sa majorité avec des législatives qui ont lieu à chaque fois après les présidentielles.
Donc, on ne change pas de constitution ?
Non. Que mettrait-on à la place ? Et puis il y l’article 16 – les pouvoirs exceptionnels en cas de crise grave NDLR. Le chef de l’Etat est le Chef des Armées. Si demain, il accède à la demande générale de démission et qu’un drone armé survole une centrale nucléaire française comme en principe les Rafales ne tirent qu’avec l’accord du chef de l’Etat, que fera-t-on ? On regarde le drone s’écraser sur la centrale ? Une démission du Président nous rendrait démuni et vulnérable.
Pourtant dans le futur, il va bien falloir composer avec trois grandes forces politiques et notamment avec l’extrême-droite qui structure son débat autour de l’immigration ?
Face au thème de l’immigration non contrôlée, personne ne répond comme il faut. Les jeunes Africains migrent parce qu’ils pensent qu’ici c’est l’Eldorado. Il faut mettre davantage de moyens dans le développement local en Afrique, agir presque village par village en créant des jumelages et en travaillant sur une foule de petites choses, le tout en évitant d’employer un langage reliquat d’un colonialisme hautain.
Les difficultés ont commencé en Afrique avec la fin de l’Ecole de la France d’Outre-Mer où l’on apprenait les langues locales comme le wolof ou le mandara. Aujourd’hui, nos jeunes coopérants ne font aucun effort, ils arrivent avec leurs connaissances et leurs suffisances. Nous avons notre part de responsabilité avec l’Afrique. Il faut s’y prendre autrement.
Pour revenir à l’Aveyron, comment voyez-vous son avenir économique ?
Plutôt florissant car le département a de bons équipements : A75, viaduc de Millau, autoroute Albi-Rodez. Le désenclavement routier existe. Celui qui avait vu les choses très longtemps à l’avance c’était Roland Boscary-Montservin qui voulait un axe Brive-Méditerranée traversant l’Aveyron.
Pourtant sur le plan démographique la situation du département n’est pas brillante ?
L’Aveyron conserve toujours ses 280 000 habitants du département. C’est à l’intérieur du département qu’il y a un problème d’aménagement du territoire. Le Grand Rodez se renforce au détriment des cantons très ruraux qui se vident.
Compte tenu de l’endettement de la France, l’Aveyron qui a toujours fait appel à l’Etat ne va-t-il pas rencontrer des problèmes de financement ?
Il y a 50 ans, quand on payait un franc d’impôt, on en recevait deux de subventions. Aujourd’hui, on est créateur de richesses grâce à des hommes comme Valadier avec Jeune Montagne. D’ailleurs on peut regretter que Roquefort Société n’appartienne plus aux Aveyronnais (mais à Lactalis N°1 mondial du fromage – NDLR). J’ai assisté en direct à l’éviction de Claude Chégut -directeur de la caisse du Crédit Agricole de l’Aveyron qui souhaitait contrer la prise de contrôle de Société par Perrier (en 1986 NDLR-). Elle avait été fomentée par Jean Puech, président du Conseil général, qui a obligé chaque conseiller général à signer une motion contre Chégut. J’ai refusé. Cela m’a coûté cher plus tard au niveau des crédits pour mon canton. Puech n’aimait pas que quelqu’un d’autre lui fasse de l’ombre.

Nous sommes au 5 rue de Solférino, siège la la Fondation Charles de Gaulle. Ce fut aussi le siège du Service d’action civique ( SAC), dont vous fûtes membre et trésorier, quel souvenir gardez-vous de cette période ?
Etudiant gaulliste, j’arrivais de Toulouse, je me pointe ici comme bénévole pour coller des affiches pour le Général. On m’attribue le Val-de-Marne, il y avait les triages de la SNCF et on faisait le coup de poing avec les cheminots de la CGT. En 1967 lors de la campagne des législatives, on me charge d’organiser un meeting à Nevers avec le Premier ministre Pompidou. Mitterrand était venu porter la contradiction. A la fin Mitterrand, malgré mes avertissements, refuse de passer par l’arrière. Il voulait sortir par la grande salle. Or il y avait des militants gaullistes chauds comme la braise. Je l’ai raccompagné au milieu des insultes et je l’ai protégé des crachats avec mon manteau…
Ensuite il y a eu le meeting de Grenoble, avec un grand débat Mendès-France et Pompidou. Ça a été beaucoup plus violent. Pasqua qui s’occupait de l’organisation avait fait monter des gars de Marseille dans lesquels je n’avais aucune confiance.
Il est vrai que la réputation du SAC a été parfois sulfureuse ?
En 1968, le SAC a été infiltré par des « lascars » qui n’étaient pas clairs du tout. A l’époque, c’était une telle pagaille que certains se disaient qu’on devait avoir besoin de tout le monde. L’opinion a basculé après la nuit de la rue Gay-Lussac, ( 11 mai 1968 – NDLR ). Quand les gens ont vu ça à la TV, ils ont compris que ce n’était pas les « gentils » étudiants. Ça m’a donné l’idée de reprendre le pouvoir par la rue puisque c’était la rue qui avait donné le pouvoir aux « autres »… J’ai lancé l’idée d’une manifestation place de la Concorde. Le préfet de police Grimaud m’a alors appelé et m’a donné l’ordre de cesser de recruter des manifestants. «Si vous arrêtez immédiatement les barricades, j’arrête ma manif.» lui ai-je répondu… On a tracté sur les grands boulevards et la rumeur a enflé. Le surlendemain, il y avait un million de manifestants sur les Champs-Elysées.

