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Les Bougnats de l’Aubrac par Daniel Crozes

25 ans que le sujet lui trottait en tête. 3 ans qu’il avait déposé son manuscrit attendant que Rouergue, sa maison d’édition dépendant d’Actes Sud – fondée par Françoise Nyssen, la ministre de la Culture- , décide de le publier. C’est enfin chose faite. Ses « bougnats de l’Aubrac » reprennent vie sur du beau papier.

Sacrés bougnats  ! On a l’impression de connaître leurs sagas sur le bout des doigts. Las ! la lecture du dernier ouvrage  que Daniel Crozes leur consacre permet de mesurer la profondeur de notre ignorance à ce sujet. Avec sa précision d’historien et son regard d’ethnologue soutenu par une plume vive comme l’eau d’une boralde, il dresse une histoire de cette tribu, principalement aveyronnaise, qui a conquis Paris en 150 ans.

 

En commençant par la géographie, ce côté « toit du monde » de ce plateau granitique du Massif Central qui a transmis à ses habitants ce caractère dur et âpre au gain et ce besoin d’émigrer devant l’hostilité du milieu naturel. Mais aussi une aptitude à gravir. Au propre comme au figuré. Qu’il s’agisse des transhumances printanières partant des bords du Lot jusqu’aux sommets du plateau d’Aubrac ou de ces volées de marches des immeubles parisiens grimpées des dizaines de fois, chaque jour, avec un sac de 50 kg de charbon sur l’épaule. Ainsi ont-ils aussi gravi l’échelle sociale. Du roule employé dans un buron devenu 30 ans plus tard patron d’un café les plus courus de la capitale. On reconnaîtra ici Marcellin Cazes, patron de la brasserie Lipp. 

Le porteur d’eau croqué par le fils de bougnat André Villaret

A ce sujet, Daniel Crozes insiste sur la simultanéité du développement des « montagnes laitières » sur l’Aubrac lié au développement du fromage de Laguiole et la multiplication, au même moment, des affaires de vins-charbon dans la capitale. D’où ces vies pendulaires où les buronniers de l’été deviennent charbonniers l’hiver à Paris … Avant souvent de choisir le métier en ville de façon permanente en espérant décroche une affaire, une fois marié avec une payse rencontrée dans un banquet d’amicale. Et pour les plus audacieux de charbonnier devenir cafetier.

L’émigration, d’abord temporaire, a commencé au XVIIe siècle avec les scieurs au long en Catalogne. Au XIXe siècle, dès les années 1830, elle s’est poursuivie avec les porteurs d’eau dans le Paris de la Monarchie de Juillet et des débuts du Second Empire. Haussmann avec son œuvre urbanistique et hygiéniste va les pousser à abandonner le transport de l’eau pour celui du charbon.

Daniel Crozes met le doigt sur le dénigrement et la moquerie dont les « Auverpins » ont été l’objet du fait de leur accoutrement et de leur patois, ce « charabia ». Ce statut d’émigrés miséreux dans la grande ville a plus que des ressemblances avec les émigrés d’aujourd’hui. D’ailleurs, les descendants des bougnats d’hier derrière leurs comptoirs tombent rarement dans les travers de la xénophobie.  Mais c’est ce mépris relatif et ce besoin de reconnaissance qui ont poussé ces bougnats à se réunir et à jouer des solidarités pour maintenir le lien avec le pays et venir en aide aux malades et aux nécessiteux. Ces bonnes œuvres n’étaient pas exemptes de querelles politiques. Notamment entre le « rad-soc » anti-clérical, Louis Bonnet fondateur de l’Auvergnat de Paris et de la Ligue Auvergnate  et les sociétés de solidarités aveyronnaises beaucoup plus catholiques…

Un des derniers bougnats de Paris, encore en activité en l’an 2000, celui de la rue Emile Lepeu dans le XIe. DR.

 

Crozes ne tombe pas dans l’hagiographie et ne fait pas l’impasse sur des aspects moins reluisants de l’histoire. Comme ces marchands de sommeil souvent Auvergnats louant des taudis à leurs jeunes compatriotes. Ou encore les malices de la limonade parisienne comme le coupage de vins dans les entrepôts de Bercy, à l’eau et au sirop et parfois à l’acide tartrique.  Ce qui permettait de faire de deux tonneaux… trois. Sans parler du vol entre les garçons et les patrons, presqu’une institution dans le métier pour certains !

Les bougnats de l’Aubrac
Daniel Crozes
Rouergue
Prix : 32 €