Politique

Similitudes parisiennes, traditions, tontines

2004 : l’année de la Chine à Paris

chin_tourOn estime à 250 000, le nombre des Aveyronnais d’origine vivant en région Parisienne. Ils sont désormais dépassés par… les Chinois. Il existe entre les Han et les Rouergats quelques similitudes d’ordre historique.
A un siècle de distance, il s’agit souvent de paysans qui arrivent dans la ville lumière avec leurs patois et une volonté de s’en sortir et de donner à leurs enfants une vie meilleure.

Ils se concentrent d’abord sur un quartier. Ce fut le cas avec la “petite Auvergne“ de la rue de Lappe voilà 100 ans (ci-dessous la rue de Charonne en 1900) . Il en va de même de Chinatown du XIIIè arrondissement dans les années 70 de Belleville (ci-dessous) ou d’une partie du IIèeme aujourd’hui avec des Chinois continentaux. Car comme les Auvergnats (Cantalous, Lozériens, Aveyronnais…), il n’existe pas un Chinois, mais différentes ethnies qui ne parlent même pas la même langue. Du coup, leur façon de faire à Paris, diffère.

Les Teochew ont été les premiers à s’implanter massivement à Paris dans les années 70 avec l’arrivée des régimes communistes en Indochine. Les années 80, ont vu arriver les Wenzhou du Sud de la Chine sur Belleville, les années 90, et 2000 voient désormais des flux croissant venus du Sud-est (particulièrement de la province du Zhejiang). Depuis peu, des originaires du Nord industrialisé ont pris le relais poussés par le désespoir avec la fermeture des conglomérats industriels hors d’âge du Nord de la Chine.

chin_bellevi3

TONTINES ET BISTROS

chin_auvergneLes systèmes d’entraides familiaux et communautaires des Aveyronnais ont été démultipliés par les Chinois avec les fameuses tontines, systèmes financiers occultes pour le néophyte ou pour Bercy. Un système codifié et complexe de financement à plusieurs dans lequel l’on réinvestit l’argent gagné sur telle affaire dans une autre affaire en aidant ainsi un entrepreneur (ou une famille), à réunir le capital ou en lui apportant une caution –parfois en liquide.
La tontine existait aussi avec les Aveyronnais et associait bistros et fournisseurs, mais des affaires mémorables de détournement et d’abus de confiance expliquent qu’on y recours de moins en moins aujourd’hui.
Il n’en va pas de même chez les Chinois -qui ont sophistiqué les tontines au plus haut point. La peur de ne pas rembourser et de perdre la face – concept cardinal chinois- devant sa communauté constitue aussi un puissant stimuli à la réussite. Dans ce système, on trouve comme capitaux les bénéfices non déclarés de certains restaurateurs qui sont renvoyés en Chine avant d’être rapatriés en France par des virements de banques chinoises moins regardantes sur l’origine des fonds que le Crédit Agricole et consorts.

Pour les immigrés de certaines provinces du Sud de la Chine d’aujourd’hui, ce n’est plus seulement les Tontines qui génèrent les capitaux. C’est aussi, soupçonne-t-on du côté des RG, l’argent du recyclage d’un business chinois mondialisé. Recyclage de sommes folles – par exemple les 15000 € payés aux passeurs, ou fruits d’autres trafics, contrefaçons, drogue. Les célèbres triades qui contrôlent des réseaux entiers de chaînes de restaurants et de traiteurs de Shanghai à Paris. Périodiquement, les faits divers nous rappellent que les meurtres, disparitions, séquestrations, tortures entre Chinois existent aussi en Ile-de-France.

L’ENGOUEMENT CHINOIS POUR LES TABACS
Le métier de buraliste était une spécialité aveyronnaise à Paris, voilà encore quelques années. Plus de 60% des 3000 tabacs d’Ile de France appartenaient à des originaires du Rouergue.
Désormais, dans nombre de reprises de débits de tabacs, on retrouve des originaires de Chine ou d’Indochine. «Ils sont souvent les seuls à pouvoir rassembler la somme demandée pour la reprise d’une affaire à Paris» explique Claude Naudan, patron du Corona. Paradoxe, alors que les buralistes français se plaignent des hausses constantes des taxes sur les cigarettes et de la chute du volume d’affaires, les nouveaux patrons ne semblent pas inquiets par ces perspectives.

chine_tabacComment expliquer cet engouement ?
«Ils savent que c’est un métier où il faut beaucoup travailler, 14 heures par jour sur six jours, c’est un métier où l’on vend des jeux d’argent, or les Chinois ont le goût du jeu. Nous n’avons pas constater de communautarisme dans les tabacs, au contraire.» souligne Jean-François Bonnet, directeur général du Syndicat des débitants de tabacs. « Les Chinois qui reprennent des tabacs sont souvent issus comme moi de l’ethnie qui a quitté l’Indochine dans les années 70 après l’arrivée de Pol Pot et consorts. C’est avec ce pécule amassé en trente ans qu’ils reprennent les débits. Avec un tabac, on est sûr d’une recette, on sait que ça marchera toujours. » souligne Michael Lao (ci-dessus), jeune franco-chinois de 26 ans qui a repris voilà un an, le Boyard, petit bistro-tabac , rue Pierre Demours dans le 17ème. Et dans ces établissements, on peut souvent vérifier que les Chinois constituent une des communautés les mieux intégrées. La plupart du temps, les clients français, leur restent fidèles, et la cuisine reste bistro.

ET PARIS DANS TOUT CA ?

Et de fait, les inquiétudes pour Paris proviennent d’une immigration sauvage beaucoup plus récente.
« Les Chinois continentaux procèdent aujourd’hui par rue et par quartier. Dans cette approche, les bistros ne sont qu’un fonds de commerce comme un autre. Quand ils reprennent un bistro, il y a déjà des Chinois dans la rue. Et quand une rue est ciblée, il ne reste au final plus grand chose de non chinois. Certes, les affaires qu’ils reprennent ne sont pas encore de super emplacements mais cela pourrait le devenir.» explique Hervé Dijols, patron d’origine aveyronnaise du Malakoff dans le 16ème et vice-président du Syndicat National des Restaurateurs Hôteliers et Limonadiers.

chin_bellevi

La municipalité parisienne s’inquiète du phénomène car à terme il a de quoi bouleverser sérieusement la physionomie de la capitale. Surtout si l’on ajoute, qu’en dix ans, Paris a perdu 43% de ses charcuteries, 29% de ses pâtisseries, et 17% de ses bars-tabacs… Pour endiguer le phénomène, une société d’Economie Mixte, devrait pouvoir préempter les fonds de commerce mis en vente afin de sous-louer à d’autres petits artisans plus traditionnels que les marchands de fringues, de portables ou de PC.
chin_eiffelPour Yves Censi, député de l’Aveyron (ci-contre), c’est une attelle sur une jambe de bois. «Ce qui se passe à Paris va devenir dramatique. On conduit à Paris une politique pour les “Bobos“, on pense aux voies de circulation, pas aux artisans qui livrent. On voudrait que Paris ressemble à la campagne et on oublie les artisans et ceux qui n’ont pas les moyens d’y vivre. Ce n’est pas étonnant que les Chinois avec leur capacité de réunir du capital, puissent racheter les fonds de commerce qu’ils souhaitent. J’attends une politique de fond.»

Car on peut parier que l’investissement massif des Chinois continentaux dans les traiteurs, restaurants et autres magasins de textiles en gros sur certains secteurs de la capitale ne brise à terme l’équilibre des commerces et ne bouleverse en profondeur la physionomie de Paris. Le magazine Zurban du 21 janvier ne relevait-il pas que 95% des fonds de commerce du quartier Popincourt dans le 11ème avaient été repris par des commerçants chinois spécialisés dans le textile de gros. Or la mono activité, qui ne concerne pas simplement les Chinois, est dangereuse pour la qualité de vie dans la capitale. Si l’on sait par exemple qu’en dix ans. Ajouter à cela que la concurrence des traiteurs asiatiques -malheureusement inégale parfois du fait d’un recours fréquent au travail clandestin- n’est pas fait pour faire sourire les bistros. Parfois le menu à 7€ (entrée plat, dessert) qui représente à peine parfois le prix d’une entrée dans un restaurant Aveyronnais, est alors rentable.