Peut-on enfin croire à une Indication Géographique (IG) Couteau de Laguiole produit exclusivement en Aubrac ? Le Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole a déposé en décembre dernier un dossier de demande d’IG auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). L’enquête publique est en cours. On peut formuler ses observations jusqu’au 29 mars. Ensuite l’INPI rendra sa décision après deux mois d’instruction…
Les couteliers thiernois qui défendent une zone géographique Thiers-Laguiole au sein du CLAA ( Couteau Laguiole Aubrac-Auvergne) s’apprêtent aussi à déposer leur demande. Sauf que les lignes de clivage ont bougé en cinq ans.
Les Thiernois ont perdu le soutien de quelques couteliers de la zone Aubrac tel Laguiole Village basé à Espalion. Surtout le retentissement d’événements autour de la commune de Laguiole, à commencer par l’annulation en cour d’appel des marques portant le nom du village, ont définitivement ancré dans l’esprit du grand public la notion d’authenticité et l’association du couteau et du village. Sans oublier la réputation et l’image des couteaux produits à Laguiole.
Pour décrocher cette IG, les fabricants laguiolais ont placé haut la barre. Ainsi le cahier des charges prévoit que toutes les étapes de fabrication devront ainsi être réalisées à l’intérieur de la zone -l’Aubrac aveyronnais- sous le contrôle d’un organisme certificateur. Sacré pari ! aujourd’hui la plupart font encore réaliser des opérations importantes telles que l’ébourrage et surtout « la trempe » (le traitement thermique ) des lames à l’extérieur de la zone et notamment à Thiers …
Il en va de même de la découpe laser pour les couteaux « créatifs » et autres séries limitées dont le seul prestataire est à Rodez. C’est donc un pari sur une dynamique d’entrainement que les initiateurs de l’IG prennent. A part La Forge qui produit tout sur place, pour les autres couteliers, cette mise à niveau n’aura rien d’évident en termes d’investissements. Une mutualisation des moyens pour financer machines de traitement thermique et découpe laser est envisagée. Quand on se souvient d’où l’on vient à Laguiole, de ces batailles de Capulet et Montaigu, l’espoir n’est pas vain..
Vendetta thiernoise ou chinoise ?
Produit à des milliers d’exemplaires par Thiers depuis les années cinquante, le Vendetta, couteau corse symbolique…à l’origine imprécise, est désormais massivement fabriqué en Chine. Il est habilement vendu aux touristes en Corse à qui on explique qu’il est « fabriqué par des bergers dans les montagnes »… De quoi « énerver » les couteliers de l’Ile de Beauté qui forgent aussi un autre couteau, -le Cornicciolu- (petite corne). Tous aspirent à l’IG mais la profession est scindée en deux syndicats : l’un très traditionaliste défendant une production totalement artisanale et 100% corse, l’autre plus ouvert et créatif. S’entendre sur un cahier des charges d’une IG Couteau Corse risque donc ne pas être une promenade de santé le long de la Balagne. Eviteront-ils une vendetta ?
En attendant, du côté de Laguiole, on espère que l’INPI ne prendra pas le risque d’insulter l’avenir en refusant de valider une IG Laguiole ou pire, en donnant droit à une zone IG Thiers-Laguiole. Le risque pour l’INPI serait celui d’instituer un précédent fâcheux. Car derrière les Aubraciens, les couteliers Corses pourraient bien demander à leur tour une IG. Or aujourd’hui la plupart des « Vendetta » – couteau corse le plus populaire- sont produits à Thiers ou… en Chine. Pour revenir au Laguiole IG, la France est un pays de droit et le recours devant le juge administratif est toujours possible contre l’INPI. Mais comme la justice est lente, le dossier Laguiole IG n’est sans doute pas prêt d’être clos …
Lire l’interview d’Honoré Durand, président du Syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole
