Avec le vote de la loi sur la Consommation dite « Loi Hamon », les produits manufacturés vont pouvoir bénéficier d’une Indication Géographique Protégée (IGP). Un système équivalent aux AOC et IGP alimentaires. Les principes sont posés. Le dépôt de la demande accompagné d’un cahier des charges devra se faire à l’INPI pour un organisme -association, syndicat des fabricants ou GEI- constitué d’acteurs représentatifs.
Les Laguiolais dépossédés de leur nom ont été à la pointe du combat pour faire accoucher la France d’un tel système. Et leur couteau, emblème d’un Made In France pillé et usurpé, a été l’un des symboles de ce combat.
D’où la surprise de ces dernières semaines quand le patron de la « Forge de Laguiole », Thierry Moysset, également président du Syndicat des couteliers laguiolais, avait confié à la presse être dépité par la tournure que prenaient les choses « le projet de loi sur l’IGP, en l’état, ne sert à rien ! Le «Made in France», ce n’est pas assez !» expliquait-il à la Dépêche. Boum.
En fait, il n’était pas question pour lui d’avoir une IG avec une zone géographique englobant Laguiole et Thiers. D’autant que si on pouvait fabriquer des Laguiole à Thiers, l’inverse n’était pas vrai. «Les Thiernois n’acceptaient pas qu’on fabrique des couteaux Thiers à Laguiole. Et ça c‘était inacceptable ! Car il n’a jamais été question d’interdire à Thiers de produire des Laguiole.»
Thierry Moysset est désormais plus serein. Surtout depuis que l’amendement déposé par le député (PC) du Puy-de-Dôme, André Chassaigne, a été rejeté. Ce texte défendait la possibilité d’une zone d’IG basée sur un savoir-faire historique. Ce texte aurait donc abouti à une seule zone d’IG Thiers Laguiole. Et l’on doit sa suppression au rapporteur du texte, Alain Fauconnier, par ailleurs sénateur PS du Sud-Aveyron… «Il a fait du bon boulot en permettant de rattacher un produit au territoire» explique Thierry Moysset.
Désormais, chacun attend donc la publication du décret d’application en n’excluant pas qu’il ne comporte quelques loups…Le syndicat des couteliers Laguiolais se prépare à devenir l’ODG ( Organisme de Défense et de Gestion) et à déposer à l’INPI le dossier pour la reconnaissance d’un « laguiole IG coutellerie de Laguiole » attestant de son origine géographique.
Mais à Thiers on s’accroche à la zone unique. «On souhaite par dessus tout une IG commune, pour les fabricants de couteaux de Laguiole avec une zone qui englobe Thiers et Laguiole » explique Gilles Steinberg, directeur de la coutellerie Thiernoise Fontenille-Pataud, par ailleurs spécialisée dans les couteaux régionaux, (corse, basque, rouennais etc.) «Nous sommes en train de monter une association pour une IG Couteau de Laguiole Aubrac/Auvergne qui préfigurera une future ODG.»
Reste donc à voir comment les choses vont évoluer. Et s’il faut se demander si la nouvelle loi n’obligera pas un jour à trancher entre ces deux IG Laguiole si deux demandes venaient à être déposées simultanément. «C’est du bon sens paysan, une IG Laguiole, avec des professionnels représentatifs territoriaux laguiolais, qui ne serait pas basée à Laguiole, ça nous fera monter au créneau ! » prévient Thierry Moysset. La saga du Laguiole n’a peut-être pas fini de faire couler de l’encre.
Dans ce long combat, il y a quand même un happy-end. Toutes ces actions et coups de gueules contre les faux laguiole ont amené les consommateurs à réfléchir à l’origine de leurs couteaux, ce qui a relancé le marché. Résultat : il n’y a peut-être jamais eu autant de couteliers à Laguiole travaillant à produire des Laguiole. L’estimation dépasse les 200 emplois. Surtout, la profession, longtemps déchirée dans un conflit shakespearien entre les deux principales entreprises, (la Forge et la Coutellerie de Laguiole) est réconciliée. Et le père Moysset ne boude pas son plaisir : «C’est peut-être ça le plus formidable. Ça a permis de nous rassembler. Aujourd’hui quand on a quelque chose à se dire, on se le dit. »