Chaque pile est un chantier à part entière, avec des équipes de 20 à 25 gars qui se relaient en deux quarts de sept heures. Que les dames nous pardonnent, mais un chantier, c’est d’abord une histoire d’hommes.
La vie de l’équipe se créée sur la pile en érection mais aussi dans l’algeco planté au pied de chaque pile (ci-contre le casse-croûte de l’équipe P2). A Millau, l’algeco est parfois garni de géraniums, ce qui prouve l’importance que l’on accorde à l’ambiance. C’est dans leurs algecos que les hommes prennent leurs repas , qu’ils se font des grillades dans le barbecue posé devant, qu’ils s’engeulent ou rigolent. Il ya aussi les blagues dans l’ascenseur du matin (ci-dessous) qui va se faire de plus en plus long. Des détails ? Uniquement alors pour les technocrates à la tête farcie de statistiques. Pas pour ceux qui, sur le terrain, ont la responsabilité de faire grimper les piles. Car, avec un ouvrage aussi vertigineux, la solidarité de l’équipe est un paramètre aussi délicat que la prise du béton.
Sans oublier le paramètre compétition qui existe sur tous les chantiers du monde. Les équipes des différentes piles vont mettre un point d’honneur à dépasser les prévisions. C’est pain béni pour Eiffage, qui souhaiterait avancer la date d’ouverture à l’été 2004 plutôt qu’à janvier 2005. Une saison de gagner pour le concessionnaire qui lui remboursera au centuple les primes de 15€ par jour versées aux ouvriers pour accélérer la cadence d’érection.
L’été 2002 n’a pas été mauvais. Du coup, les piles, à raison de deux levées par semaine (un coffrage tous les trois jours) ont pris de la hauteur.
En ira-t-il autrement en hiver, lorsque le vent soufflera et qu’il faudra bâcher pour protéger les hommes ? C’est toute la question. D’autant qu’à ce train là, les altitudes vont vite s’élever. A l’instar des laveurs de carreaux de gratte-ciel, les ouvriers du viaduc vont devoir apprendre à travailler sur un ouvrage en perpétuel mouvement. Ce travail en altitude, sur une pile qui va se balancer de plus en plus au fur et à mesure de son érection, constitue l’un des points d’interrogations majeurs. C’est d’ailleurs l’objet du « coffrage école », installé non loin de l’entrée du chantier, d’apprendre aux hommes à travailler sur un ouvrage qui bouge pour maîtriser leur vertige.
Guy Marquez, un Toulousain, est responsable de l’une des équipes de coffreurs de la P2. Il confirme «le vrai défi ce sera la hauteur. ». Cet ancien d’un autre viaduc, un peu plus haut sur l’A75, celui de Verrières, (photo ci-dessous) connaît son affaire. A l’armée, ce serait le type même du sous-off expérimenté proche de ses hommes n’ayant pas peur de monter au feu, ni de rabrouer les galonnés.