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« André Valadier, l’Aubrac au cœur », dernier livre de Daniel Crozes

Faisons un rêve… La France en serait-elle au même point si elle avait pu s’appuyer sur une dizaine d’hommes comme André Valadier, pas simplement dans l’agriculture mais aussi dans l’industrie, les services et bien sûr la politique ? Encore qu’il y ait une légère différence… La France était un pays riche et plein de ressources, il a suffit d’une quarantaine d’années pour l’ébranler et l’endetter durablement. A contrario, l’Aubrac, contrée pauvre et condamnée par les tenants du « progrès » dans les années 60, a vécu, au rebours de bien des territoires une cure de jouvence.

Daniel Crozes dévoile en détail le parcours de celui qui fut l’un des principaux artisans de ce changement, le fondateur de la Coopérative Jeune Montatgne, André Valadier, qui avec d’autres, à contribuer à faire de ce territoire l’incarnation d’une modernité à visage humain. Et une réponse à la mondialisation applicable sous d’autres horizons.
Quel parcours pour ce paysan de la Terrisse passé maître dans l’art de dresser les bœufs avant que le tracteur ne les remplace définitivement, signe d’une rupture aussi violente que fulgurante. Elle laissait souvent les paysans sans cadre de référence et sans défense face aux arguments de « conseillers »  leur enjoignant par exemple de remplacer la race Aubrac pour la Frisonne.  D’où l’indépendance d’esprit de Valadier et ses autres éleveurs bien décidés à maîtriser leur destin en créant leur coopérative sans renier le travail des buronniers.

André Valadier dans sa ferme de la Terrisse nourrissant ses aubracs au foin.

D’où également leur ténacité. Car comme le détaille Daniel Crozes, les bâtons dans les roues n’ont jamais manqué. A l’instar de cet embargo originel à destination des fromages de laguiole de la part des fromagers et négociants cantaliens. Sans oublier les  fameux quotas laitiers de la CEE obligeant la coopérative à mutualiser les amendes.
A quelques mois de la publication du décret créant le Parc naturel régional d’Aubrac qui couronne cette démarche, l’ouvrage tombe à point nommé pour prendre conscience du travail accompli par cet homme qui a bâti un développement harmonieux en cohérence avec l’histoire et la géographie. A commencer par le développement du Laguiole AOC ou la résurrection de la race Aubrac qui aurait dû disparaître et qui s’affiche aujourd’hui dans les cartes des bons bistrots de la capitale. Sans oublier cet aligot, ce plat du vendredi de l’abstinence, pour lequel le « grand prêtre de l’appellation » que fut Valadier n’est pourtant pas parvenu à décrocher une IGP…




Le livre peut parfois donner l’impression de faire l’impasse sur quelques aspects critiques. C’est donc en creux qu’il faut le lire pour imaginer le sentiment d’André Valadier sur les AOC contrôlées par des groupes industriels qui ont imposé des cahiers des charges hygiénistes tels que l’AOC Cantal ou un Bleu des Causses dont la production a chuté de 40% en dix ans… Sans oublier les tendances au productivisme porcin – dont on a vu les dégâts en Bretagne – soutenues par le syndicat agricole majoritaire dont il fut membre. A l’heure où la majorité du bétail français est nourri au maïs et soja OGM récoltés sur des terres arrachées à des petits paysans et où bien des campagnes françaises s’enfoncent dans le désespoir, ce livre est  un vade-mecum qu’il ne faut pas hésiter à mettre entre toutes les mains.

André Valadier
L’Aubrac au coeur
Rouergue
336 pages
22,00 €