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La fabrique à histoires de Nathalie Girbal

C’est un ovni littéraire. Ni pièce de théâtre, ni roman, ni nouvelle, mais tout cela à la fois. La fabrique à histoires, dernier jour d’une librairie fictive du 14e destinée à devenir un cabinet d’assurances, est un cri d’amour aux librairies de quartier, ces «bistrots de l’âme», autant qu’aux vrais zincs.

Il faut dire que  Nathalie Girbal, en connait un rayon sur la vie de quartier. Fille d’un bougnat originaire d’Huparlac, venu s’installer à Malakoff à l’aube des  années 60 devant les puces de Vanves, elle a vu défiler bien du monde devant le zinc paternel. Cette démocratie du comptoir, elle l’a gardée dans les tripes et dans les oreilles.

Alors, oui, il y a un soupçon de nostalgie façon « Dernière Séance » d’Eddy et parfois même de rage quand elle écrit «la poésie et le savoir se font la malle au profit des videurs d’âme et de portefeuilles… C’est voulu ça. On met des banques et des assurances partout maintenant… »

«Pour les bistrots, un jour, ça fera bien pareil.…L’idée que son zinc puisse être détruit pour y placer quatre ou cinq gus en cravate derrière des guichets, ça le met en rage Bernard (le bougnat du bouquin – NDLR). Il aurait bien envie de les étouffer à coups d’aligot tous ces blancs-becs des bureaux, ou de leur coller une droite à la Cerdan…»

Mais foin de nostalgie larmoyante. Très vite, la vie et la joie vous gagnent grâce au style pétant de vie et des dialogues bien sentis. Il faut dire qu’il y a une belle galerie de personnages attachants -et aussi de   chiens dont on sent que Nathalie les adore autant que leurs maîtres-. Outre Victor, le libraire il y a le Colonel, Paulo le SDF brisé par la vie et sauvé par son chien alors qu’il va se jeter dans la Seine, Bernard et Mounette les bougnats du coin. On y croise aussi des personnalités comme Simone Veil, et son amie. Marceline Loridan-Ivens, toutes deux rescapées de la Shoah, ou encore Bernard Pivot. La scène du chou farci préparé par la bougnate que drague l’animateur d’Apostrophes, rendant du coup fou de jalousie son bougnat de mari, vaut son pesant de cacahuètes.

L’auteur en profite pour afficher son attachement à son Aubrac et à l’Aveyron faisant dire à Mounette. «C’est qui qui va me commander mes bouquins du païs maintenant ? La première fois que je suis rentrée chez Victor, c’était pour acheter Le café de Camille, de Daniel Crozes.»

Nathalie Girbal

Bref, cet opuscule se savoure avec gourmandise comme un petit blanc bien frais et fruité au coin du zinc. Et à l’heure des zombis marchant nuque cassée et yeux rivés à leur smartphone et du « grand remplacement » des bistrots par les chaînes et les magasins de fringues, voilà un joli pied de nez à l’époque. Une piqûre de rappel pour ne pas oublier que pour nos vies comme pour nos villes il faut continuer à pousser la porte des librairies comme des troquets. 

La Fabrique à histoires de Nathalie Girbal
EnvolÉmoi Éditions
rix éditeur : 12,00 €