Agriculture

André Valadier, le père fondateur de Jeune montagne

André Valadier dans sa ferme en Aubrac


Sans André Valadier verrait-on de l’aligot sur tous les présentoirs des grandes surfaces ? Pas sûr. Il en fallait de la conviction, durant les années soixante, pour persuader les éleveurs de l’Aubrac de relancer la production de Tome de Laguiole en créant une coopérative, Jeune Montagne.

Ce n’est pas un hasard, si André Valadier est aujourd’hui l’un des hommes publics les plus respectés d’Aveyron. Après les éleveurs, il a réussi à convaincre le roi du surgelé Picard de se lancer dans l’aventure de l’aligot congelé. Aujourd’hui, c’est le boom sur l’aligot. Mais André Valadier a appris à manier le langage du marketing tout en gardant l’humilité : «Le consommateur nous a rattrapé dans notre positionnement considéré comme désuet au départ.». Il a fait le tour avec Aveyron.com des obstacles qui ont jalonné son parcours.

Au départ, l’indifférence des hommes à la préservation d’un patrimoine

«En 1960, la profession agricole était indifférente à la sauvegarde d’un produit identitaire comme le fromage de Laguiole». Les Trente glorieuses, cette période de croissance où la France prospéra jusqu’à la fin des années 70, firent pas mal de victimes dans les campagnes pour l’aligot comme pour le patrimoine architectural rural. Adieu toit en Lauze, bonjour crépi en béton, adieu table en bois familiale, bonjour formica. Adieu aligot, bonjour purée en poudre. André Valadier lutta contre cette modernité qui signifiait trop souvent table rase et perte d’identité au profit d’un mouvement animé par le seul désir de « produire pour produire ».



Le coup de jarret des quotas laitiers


Le deuxième obstacle fut celui des fameux quotas laitiers qui s’appliquèrent au moment même où la coopérative était en plein décollage. «A la fin des années 70, l’adoption par Bruxelles des quotas laitiers faillit mettre à bas Jeune Montagne. A Laguiole, nous nous étions fixés sur des vaches Simmental à potentiel d’environ 6000 litres voilà qu’une mesure générale de limitation de la production prise sans discernement nous tombait dessus et nous limitait à 4000 litres. Pour que nos jeunes ne désertent pas, nous avons mis en place un fonds mutuel de soutien pour payer les pénalités en cas de dépassement des quotas. L’Assemblée Générale de la coopérative avait voté la création d’une réserve pour risques communautaires. Elle a permis de payer quatre millions de francs de pénalités. Mais, pour sauver Laguiole, nous nous étions mis dans l’illégalité. Voilà pourquoi, j’ai refusé en 1984 que l’on me décerne l’Ordre national du Mérite.»

La défense de l’Aligot
L’aligot marche du feu de dieu, avec une production en hausse constante. Mais le succès attire toujours des gens qui veulent profiter de l’aubaine à moindre frais. A Laguiole, on a vu ce phénomène avec le succès des couteaux dont beaucoup n’ont que le nom et qui arrivent par conteneurs de Shanghai ou Shenzen. Les Chinois n’en sont pas encore à copier l’aligot. Il en va autrement de certains grands groupes, oui.

«Nous sommes anxieux, nous avons pris des dispositions pour protéger l’aligot. Ainsi nous savons qu’une filiale belge d’un géant de l’agroalimentaire s’apprêterait à en sortir un. Nous pensons que l’on peut revendiquer la protection d’un produit du terroir. » explique André Valadier. «Ce que l’on craint le plus, c’est la dénaturation du produit. Comment peut-on appeler aligot des produits comme on en a récemment vu à Laguiole avec seulement 13% de tome. Ils ne font aucun fil. Un vrai aligot, c’est au minimum 25 à 30% de tome. Il y a des fabricants d’aligot en Ariège, cela ne nous gêne pas à partir du moment où ils recourent à une tome au lait cru. C’est elle qui donne les qualités gustatives. Pas la pasteurisation. »

Le défi actuel des 35 heures dans l’agriculture
Tout comme dans la restauration, les bistrots et les PME, la mise en place des 35 heures s’avère également lourde de conséquences et d’effets induits dans le monde agricole. Car elle met le doigt là où ça fait mal, c’est-à-dire dans la qualité de vie des jeunes agriculteurs et l’incitation à reprendre l’héritage ancestral.
Pour André Valadier, c’est aujourd’hui le principal défi qui conditionne l’avenir des produits du terroir : «A la coopérative Jeune Montagne, nous avons environ 40 employés et 80 éleveurs, je dois reconnaître que l’ambiance a été flottante avec l’adoption des 35 heures. Car les producteurs demeurent toujours face à une contrainte des 365 jours de traites sans samedi, dimanche, jour fériés. Nous commençons à mettre en place des solutions de remplacements. Si nous n’en trouvons pas, nous aurons du mal à inciter des jeunes éleveurs à s’installer. Protéger l’avenir de Jeune Montagne, c’est faire tomber la contrainte des 365 jours, sinon les jeunes quitteront la coopérative et feront de la vache allaitante avec des vaches Aubrac avec des veaux. »

Pour une agriculture sans primes !
André Valadier ne craint pas d’aborder des questions sensibles qui heurtent de plein fouet quelques récentes habitudes paysannes héritées de la PAC (Politique agricole commune) et très présentes en Aveyron, pays de montagnes et donc de primes. Que ce soit dans le sud avec la brebis ou dans le nord avec les vaches. «Quel avenir peut avoir un territoire qui s’en remettrait uniquement à la compensation des handicaps. Une région de montagne défavorisée peut être un socle de ressource, or nos éleveurs ont pris des habitudes. Ces subventions affaiblissent notre capacité à nous remettre en cause, à être créatifs et porteurs de projet. »