Agriculture Environnement

Interview du président de RAGT : Alain Fabre

«Il y aura un tournant sur les OGM, le jour où l’opinion publique se rendra compte qu’ils peuvent déboucher sur des alicaments.»

Avez-vous les moyens de résister à la concurrence américaine ?
Les Américains souhaitent devenir leaders mondiaux sur l’agroalimentaire. Cela sous-tend que d’autres pays vont devenir totalement dépendants d’eux. En Europe, la France est le premier producteur agroalimentaire, et le deuxième exportateur au monde, avec des produits élaborés comme les vins et les fromages. Il faut renforcer cette carte et valoriser cette diversité de produits identifiables issus de processus de qualité et de traçabilité. Les Français n’ont aucune chance au marché du blé de Chicago –quand on voit l’étendue de leurs exploitations, en revanche nous sommes meilleurs qu’eux en rendement. Quand ils récoltent 50 à 60 quintaux l’hectare, on parvient à en faire 90.

ragt_siege2Pourtant, on a l’impression qu’ils pourraient vous racheter et qu’ainsi RAGT pourrait constituer une jolie tête de pont européenne pour des entreprises comme Monsanto ?
Cela fait longtemps que les Américains voudraient nous racheter. En tout cas nous sommes courtisés. Notre part de marché en France est de 15% sur les semences type maïs quand celle de Monsanto (N°2 mondial) n’est que de 5%. Le jour, où ils seront autorisés à commercialiser leurs “trais » (leurs modifications génétiques -NDLR) ils viendront nous courtiser pour que nous les intégrions dans nos produits.

Comment voyez-vous l’avenir de la PAC ?
Il faut que les prix des produits agricoles permettent aux agriculteurs d’obtenir un équilibre économique de leurs exploitations.

Que pensez-vous d’une agriculture plus protectrice de l’environnement ?
Les Anglais, se sont essayés à faire du porc de qualité pour répondre à une demande des consommateurs exprimée dans un sondage. Ceux-ci ont finalement jugé les prix trop élevés et se sont rabattus sur les porcs danois. La masse des consommateurs ne veut pas payer plus cher pour les produits agricoles produits selon des normes encore plus sévères de protection de l’environnement.

abeilleConcernant vos expériences sur les OGM, n’avez-vous pas le sentiment de jouer à l’apprenti sorcier, d’introduire un dérèglement dans l’infinie possibilité de combinaisons de la nature, si bien décrite par exemple par l’un de vos homonymes aveyronnais célèbre, l’entomologiste Fabre ?
Pas vraiment. Si l’on prend par exemple les fruits, depuis les débuts de l’humanité cela n’a été qu’une lutte permanente entre l’homme et la nature. A force de sélections faites par croisements, il a toujours fallu trouver la parade contre les champignons et les insectes.
A partir du moment où l’on sème une plante, des insectes et des champignons viennent toujours “s’y attaquer“. Contre eux, il faut mettre au point un produit phytosanitaire qui n’agira que le temps qu’un insecte plus résistant trouve la parade par sélection naturelle. Et ainsi de suite. On n’a jamais fait que ça. A un moment donné, si un outil qui s’appelle OGM permet d’aller plus vite pour bloquer les “terroristes“ comme les sauterelles, cela peut être utile.
Ainsi par exemple, aujourd’hui, on recherche un gène résistant à un herbicide total non polluant, plutôt que d’avoir à vaporiser des quantités d’herbicides sélectifs.
Dès lors, il peut être intéressant d’introduire un gène dans la plante à cultiver, qui va lui permettre de résister à un herbicide total type Roundup. La deuxième astuce est celle visant à lutter contre le pyrale, la larve d’un papillon qui s’attaque aux tiges de maïs. On a trouvé un gène dans le monde animal, issu d’un prédateur de la pyrale, et on l’a intégré dans la construction génétique du maïs qui sécrète ainsi un produit qui détruit les pyrales.
Mais il est sûr qu’un jour les pyrales vont à leur tour se sélectionner pour aboutir à une espèce qui résistera à la variété de maïs génétiquement modifiée.
En fait, il y aura un tournant sur les OGM quand les consommateurs se rendront compte qu’ils peuvent déboucher sur des “alicaments“, des aliments meilleurs pour la santé. Par exemple : une huile de tournesol capable de faire baisser le taux de cholestérol.

A la façon de concepteurs de logiciels qui vous tiennent chaque année avec la sortie des nouvelles versions, des industriels tels que Monsanto souhaitent obliger les agriculteurs à revenir chaque année pour se fournir en semence en recourant à un gène qui bloque le renouvellement de la graine, que pensez-vous de ces pratiques ?
On ne peut pas s’adresser au monde agricole avec des vues aussi machiavéliques. Si cela est possible scientifiquement, l’éthique de l’entreprise nous l’interdit. Notre actionnariat est essentiellement dans le monde agricole. A ce titre, il est culturellement empreint du bon sens paysan. Ainsi nous sommes le seul semencier privé à faire le même métier que nos clients. Et cela nous préserve de tels comportements.

Les yeux dans les yeux, au nom de vos racines rouergates, si les expériences sur les OGM concluaient sur des risques de dérèglement de la nature, cesseriez-vous de poursuivre dans cette voie ?
Oui, c’est évident.

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