Agriculture

Jean Laurens, président de la Chambre d’Agriculture

laurensJean Laurens est le Président de la Chambre d’Agriculture d’Aveyron. C’est aussi un éleveur laitier du Carladez (canton de Mur de Barrez). A la veille du Salon 2003, ses réponses à des questions sur une agriculture aveyronnaise chahutée par l’époque.

Quels sont les risques de la remise en cause de la PAC pour l’agriculture aveyronnaise ?
Cela fera très mal si nous nous montrons incapables de relever le défi. Le système européen qui se dessine semble évoluer vers un système d’aides forfaitaires à la surface. C’est un schéma qui n’encourage pas à prendre des risques. A mon avis, la seule voie possible pour amoindrir les effets de cette politique est de poursuivre la démarche dite des Signes Officiels de Qualité.
Nous avons eu du mal à faire entendre ce discours en Aveyron mais aujourd’hui beaucoup prennent conscience que c’est la seule voie de survie. Il faut jouer nos atouts : ceux d’avoir un territoire et des produits typés.

Vous évoquez les Signes de qualité, mais si l’on prend l’exemple de la viande d’Aubrac, entre le bio, le bœuf fermier, l’IGP , le consommateur y perd son latin ?
C’est vrai. Actuellement, c’est un peu la foire d’empoigne. Chacun élabore sa stratégie. Les choses se décanteront. En Europe, il y a quatre signes de qualité : le Label Rouge, l’AOC, le Certifié conforme, et le Bio. En France, 70% des consommateurs reconnaissent le Label Rouge. Et en Aveyron, nous avons trois viandes Label Rouge : Veau d’Aveyron, Bœuf Fermier Aubrac, Agneau d’Aveyron. Sur les producteurs bovins, nous avons quelques atouts pour positionner correctement nos produits.
En revanche, je suis plus préoccupé pour la filière lait de vache qui représente 15% du chiffre d’affaires de l’agriculture aveyronnaise avec 1600 exploitations sur 9000. Car en moyenne les producteurs aveyronnais, ont des petits quotas, 130 000 contre 180 000 litres ailleurs. Nous sommes les “Africains de l’Europe“ en matière de lait de vache.
Nous ne pouvons pas nous comparer aux exploitations du nord de l’Europe en termes d’équipement et de productivité. De plus, le contexte des 35 heures pousse les jeunes à s’interroger sur la reprise d’une exploitation laitière avec la contrainte de la traite matin et soir.
La seule voie me semble être l’indication Montagne. Quasiment tout le département est classé en zone Montagne -270 sur 306 communes- même si la Grande Distribution invente des marques commerciales, l’indication Montagne sera pour nous une planche de salut. Mais cela demandera beaucoup de temps pour que le consommateur parvienne à identifier ses filières avec des produits laitiers. Au moins 10 ans. Pour vous donner une illustration concrète, c’est ce que nous essayons de faire avec la petite coopérative laitière de Thérondels qui produit du Cantal au Lait cru. Nous essayons de lui redonner un avenir en convainquant de nouveaux éleveurs de lui confier leur lait et en faisant financer par la Communauté des Communes du Carladez un nouveau site de fabrication.

En matière de prime montagne, vous différez d’André Valadier (fondateur de la coopérative Jeune Montagne, NDLR) , qui ne s’avoue pas partisan du maintien de la politique Montagne dans la mesure où elle peut créer chez ceux qui reçoivent les subventions une mentalité d’assisté ?
André Valadier et moi, avons bien des points communs. Mais sur ce point, nous ne sommes pas d’accord et depuis longtemps. Que voulez-vous, sur les 4 milliards de francs de chiffre d’affaires de l’agriculture aveyronnaise, un milliard provient des aides directes. Je veux bien comprendre que cette politique puisse induire une mentalité d’assistés. Mais nous n’avons pas le choix. En plus cette politique a fait augmenter le prix du foncier en Aveyron à des niveaux complètement fous. Alors que cela est tout à fait artificiel.

Malgré les discours, le bio ne semble pas prendre en Aveyron ?
C’est vrai. A un moment donné, je le déplorais. Aujourd’hui, lorsque l’on observe l’état du marché et la faiblesse des prix, on est préoccupé pour le sort des éleveurs Bio. Ils sont confrontés à des importations de produits de bio à des prix sur lesquels ils ne peuvent s’aligner.

A propos de la feta, que beaucoup analysent comme “un produit du productivisme“ de Roquefort, dans la mesure où elle sert à écouler les excédents de lait, le débat actuel sur l’appellation n’est-il pas hypocrite ? Si vous étiez un citoyen grec, comment réagiriez-vous aux derniers événements ?
C’est un dossier difficile. Les grecs font de la feta, avec du lait qui ne vient pas de chez eux, apporté et transformé par des multinationales. C’est vrai que la feta est un produit du productivisme. Sur le plan politique, au moment, où la France défend l’exception culturelle, le gouvernement se trouve en porte à faux en faisant appel auprès de l’Europe pour contester l’appellation Feta. Je pense qu’il nous faudrait au moins cinq ans pour compenser la perte induite par la Feta.