Ses bacchantes rouergates resteront longtemps gravées dans les mémoires. Mère Denis, mise à part, rarement la pub aura affiché une telle “tronche“ capable de symboliser les vertus de l’expérience, du savoir-faire et de la tradition. Une tronche aveyronnaise, et surtout une icône providentielle pour les hommes du marketing, puisque capable de faire vendre.
Mais Maurice Astruc n’a pas été qu’une image. Sa bouille bourrue exprimait réellement ses valeurs et son savoir-faire assurée par 40 d’expérience dans les caves de Roquefort Société.
Les principaux actionnaires de la Société des Caves, Crédit Agricole, Perrier et enfin Besnier devenu Lactalis, ont vite perçu la puissance du symbole. Du coup, dans les années 90, son effigie s’est déclinée par millions sur tous les supports, pubs tv, affiches, emballages, camions. Ce n’était pas le Petit père des Peuples mais le Petit Père du Roquefort. Le Conseil général d’Aveyron, a aussi recouru à l’icône.
Maurice Astruc n’était pas un mannequin. Il était vraiment un ambassadeur du Roquefort, un garant de sa qualité. Il allait sur le terrain, faire les démonstrations aux fromagers ou aux grandes surfaces ou chez les grands noms de la gastronomie. «Un matin en faisant une démonstration devant l’étal d’un fromager parisien, une dame m’a demandé, comment moi un comédien, je pouvais être obligé de faire déguster des tartines de Roquefort si tôt le matin. Ca m’a bien fait rigoler ! » En bon Aveyronnais, ce type n’a jamais pris la grosse tête, il est resté fidèle à son caractère d’Aveyronnais, estimé et apprécié par ses collègues pour sa sympathie et ses décisions, car son métier, c’était d’abord chef de Caves et Maître d’affinage.
Vers une disparition programmée de l’icône Astruc ?
Dans le dernier spot de pub pour le Roquefort Caves Baragnaudes, largement diffusée pendant les fêtes de fin d’année 2004, un autre homme –non moustachu- a succédé à Maurice. La scène se déroule toujours dans les caves mais il est entouré de petites fées. Ce n’est pas non plus un acteur mais un maître affineur, Jacky Carles, qui a vingt ans de maison. Il va avoir fort à faire pour s’imposer. «Moi je n’aurai pas pu tourner cette publicité, je ne suis pas d’accord avec l’esprit des fées et tout ça moi je crois au produit. Mais de toute façon, aujourd’hui tout a changé, c’est un autre monde, ce n’est plus du tout celui que j’ai connu à Roquefort.» confie Maurice qui n’a jamais vraiment goûté l’esbroufe publicitaire. On retrouve là son caractère entier et bourru.
Et c’est vrai que peu à peu l’image de Maurice Astruc disparaît. «Nous continuons d’utiliser l’image de M. Astruc sur la marque « mère » Société moins souvent parce que M. Astruc est à la retraite depuis 5 ans. Ce n’est donc pas pour une raison stratégique.» explique-t-on chez Société. Il est vrai qu’entre les dizaines de camions, les peintures murales, et les milliers d’autres supports, une opération d’iconoclastie “astrucienne“ ne peut se concevoir en un jour.
Et pourtant aujourd’hui, encore, le pouvoir d’image de Maurice est intact. Les VIP le demandent, pour faire la visite des caves.
Astruc, 43 ans d’histoire de Roquefort.
Maurice Astruc est entré à la Société des Caves à une époque où il y avait autant de roqueforts que de fromageries… C’est par l’île de Beauté qu’il a intégré Société. En 1956, il accompagne un employé pour une campagne de collecte de lait en Corse. Ah, le Roquefort Corse ! «On récoltait le lait, on le caillait pendant une dizaine de jours. C’était envoyé ensuite par bateau à Marseille. » raconte Maurice Astruc. Car à l’époque, le roquefort était rare, presque rationné, le lait venait aussi de Corse, et des Pyrénées. Avec l’augmentation exponentielle de la production, cela a bien changé, désormais l’AOC limité le rayon de production à l’Aveyron et aux départements voisins.
«L’origine du lait comptait beaucoup pour le goût. On n’avait à l’époque qu’une souche de pénicilium roqueforti, et cela ne prenait pas toujours. Ce n’est que dans les années soixante que l’on a réussi à séparer les trois souches et à obtenir des goûts biens différents.»
Maurice Astruc a accompagné la lente conquête pour la qualité avec l’amélioration de la race Lacaune ou la mise en place des trayeuses. Et puis le maître affineur est monté au créneau pour témoigner auprès des consommateurs de l’amélioration de la qualité. «On jouait l’image de la qualité auprès des crémiers, mais il fallait monter au créneau sur les grandes surfaces, qui était devenu malheureusement un passage obligé pour s’en sortir. J’en ai formé des chefs de rayons fromagerie, le seul inconvénient, est qu’ils changeaient tout le temps.
Perrier faisait venir beaucoup de monde pour les visites des caves. Quand Michel Besnier, que l’on surnommait l’Ogre de Laval est arrivé, je me suis attaché à lui faire comprendre le sens de Roquefort ? Je lui ai fait découvrir la spécificité des Caves. Un jour, je l’ai fait descendre dans la Cave, il y avait là 50 cabanières en sabot et tablier, il les a regardées, et puis il m’a dit : j’ai compris. Maintenant, c’est autre chose, il n’y a plus de visites dans les caves, tout le monde est en tablier blanc. J’ai représenté une époque. C’est terminé.»