Le réalisateur Paul Lacoste livre avec ce film sur la passation de pouvoir entre Michel et Sébastien Bras, un bel objet cinématographique. Ni un documentaire, ni un film scénarisé mais une œuvre qui parle à l’âme et ne lasse pas une minute. Les interprètes et le décor y sont pour beaucoup.
Ce n’est pas un film sur la cuisine. C’est même tout le contraire du spectacle des fourneaux filmés à la télé avec musique formatée et des «oui chef» beuglés à tout bout de champ. C’est un film qui laisse place au silence, à la parole et à la nature, ponctué de quelques notes de piano comme les brins d’herbes que Michel Bras dépose sur son gargouillou.
Avec ses rites, son cérémonial du repas en famille, cette transparence comme la luminosité de l’Aubrac, à laquelle ils se sont astreints avec pudeur, on croit connaître l’histoire des Bras par cœur. Et au premier abord, «Entre les Bras» pourrait passer comme un joli coup de com. Comment l’un des cuisiniers les plus célèbres du monde organise et fait connaître le passage de témoin à son fils. Depuis 2006, il en parle (voir notre article), mais cette fois-ci semble être la bonne. Dans les premières minutes de film, on le voit vider son bureau de ses affaires comme un départ en retraite… Mais très vite, en fait de scénario cousu de fil blanc, on se retrouve face à un conte philosophique qui débouche vers quelques pistes de réflexion. Car en regardant les Bras, seuls ou en famille, tous filmés en gros plan, à Laguiole ou à Toya (le restaurant Bras au Japon -NDLR) les questions fusent. Il y l’apport de la mère, -mémé Bras en l’occurrence- qui a inspiré son fils, Michel, et son petit-fils à qui elle avait fait une toque sur mesure.
Il y a aussi le lien entre l’homme et sa terre, en l’occurrence celle dépouillée de l’Aubrac qui l’a inspiré et lui a donné cette imagination. La même qui inspire aujourd’hui Sébastien.
Il y a bien sûr cette transmission et ses gènes de cuisinier, «la race» comme dit Mémé. Quant aux scènes filmées à Hokkaido dans le restaurant des Bras, elles évoquent inévitablement le vieux Samouraï qui se retire et laisse son disciple -devenu Maître- affronter seul les défis de la vie. Et pourtant, même à Toya on sourit. Par exemple, quand on voit le père Bras se dandiner pour essayer de voir comment le fils va s’y prendre avec son œuvre nippone.. Inversement, la scène de la dégustation par le père de l’œuvre du fils sous le regard anxieux de ce dernier est un joli moment qui ne s’oublie pas.
Et d’ailleurs, à propos du Japon, on ne peut manquer d’être frappé par cette remarque de Sébastien, qui rappelle que la culture nipponne valorise le geste des ancêtres perpétuellement renouvelé pour viser à la perfection. Tout le contraire d’un monde occidental qui fonctionne au renouvellement permanent… D’où ce miracle de l’Aubrac d’avoir accouché d’un chef comme Michel Bras, qui a su garder la même ligne sans succomber aux turpitudes gastronomiques.
En observant la quête de Sébastien, sa recherche d’un plat emblématique comme le fut le gargouillou de son père, ce film nous rappelle que l’histoire n’est pas écrite. Le film ne cache pas les interrogations de Sébastien que l’on perçoit dans un regard parfois trop mouvant pour être totalement serein.
Mais même si la pression sur ses épaules est immense, Sébastien a deux chances que tous n’ont pas. Son Aubrac qui l’inspire et où il pourra puiser chaque jour son inspiration. Et surtout une famille et un clan soudé derrière lui. Car on se doute bien qu’il y aura toujours une spatule pour permettre au père Michel de filer l’aligot comme il y en eut une pour Mémé Bras à son époque.
«Entre les Bras, la cuisine en Héritage »
Date de sortie : 14 mars 2012
Réalisé par : Paul Lacoste
Durée : 1h30min