Politique

L’année de la Chine vue du Pays

L ’année de la Chine intervient à un moment où la conjoncture est morose pour les entreprises aveyronnaises, quelle que soit leur taille. Les chiffres d’affaires sont en baisse ou stables et la reprise annoncée semble ne concerner pour l’instant que les indices boursiers. Sans parler de filières identitaires telle que celle du bois, menacée. Pour le plus grand nombre, la Chine évoque d’abord une concurrence sauvage et des délocalisations en hausse.

Le mouvement n’est pas nouveau. «Le vrai problème aujourd’hui, c’est que sur bien des points, leur niveau technologique est égal au nôtre», explique Yves Censi, député UMP de Rodez qui connaît bien la Chine. Mais la créativité aveyronnaise et le haut de gamme, pourrait, pour certains, compenser ce déséquilibre quitte à toucher de nouvelles niches de marché. Et en croisant des doigts pour que le marché Chinois s’ouvre plus largement et que les riches Chinois consomment du made in Aveyron.

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Une épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’emploi manufacturier,
L’emploi industriel et manufacturier (17% des emplois) est dans la ligne de mire. Il n’est besoin pour s’en convaincre de songer à l’ouverture à la concurrence asiatique de l’industrie textile à la fin des années 80 et à regarder ce qui reste. Pas grand chose. On pense aux 200 entreprises de la « Mecanic Vallée“ des départements de l’Aveyron, du Lot et de la Corrèze. «Pour les deux prochaines années, leurs responsables sont à peu près sereins. Mais au delà, c’est l’inquiétude qui domine. » explique-t-on à l’association Mecanic Vallée. La plupart des entreprises conduisent des politiques de délocalisation sur l’Europe de l’Est, qu’il s’agisse de l’aéronautique par exemple avec Ratier qui a décroché la commande des hélices du futur Airbus militaire ou de la mécanique. Les entreprises très automatisées telles que Figeac Aero ou la SAM, avec des coûts de main d’œuvre limitées tirent mieux leurs épingles du jeu. Car moins sensibles aux coûts sociaux made in France type 35 heures inconnus des Polonais et à fortiori des Chinois.

Pour les grandes usines, comme celle de Bosch à Rodez, (plus de 2000 employés) seule la performance économique et la sophistication du produit -l’injecteur- permet de résister. Quid le jour où les Chinois, gros consommateur d’automobiles, exigeront un joint-venture sur les injecteurs pour commander du Bosh. Pour l’instant sur place, on est serein. «J’imagine qu’à partir du moment, où l’usine de Rodez fait du bénéfice, il n’y a pas de raison de toucher au site. Et puis comme Bosch est une fondation, les réalités économiques sont différentes.» rassure-t-on au service du personnel de l’entreprise. Même son de cloche chez les élus CGT du Comité d’Entreprise où il n’y visiblement aucune inquiétude : «Le site est sans problème, on n’est pas plus mauvais que les autres». Ce n’est pas le cas partout. Bosch a annoncé en décembre 2003 plus de 600 suppressions d’emplois en France pour sa division freinage.

Sous-traiter ou produire en Chine pour maintenir des emplois au Pays
En fait, l’alternative n’est parfois pas aussi tranchée que la vie ou la mort de l’entreprise. La délocalisation d’une partie de la production ou le recours à des composants ou produits semi-finis peut permettre de maintechine_ravalnir l’activité sur place. Bien des entreprises aveyronnaises, quelle que soient leur taille, y ont recours. Les grandes bien sûr mais aussi les petites.
Ainsi de Raval’or spécialisée dans les pinceaux. Cette entreprise qui emploie une dizaine de personnes sur son site de Combret (Sud-Aveyron) se voit obligée d’importer des pinceaux bas de gamme pour les revendre. « C’est la seule façon de nous en sortir sur ses créneaux et de maintenir une gamme de produits aussi large que possible. Mais on ne se fait pas d’illusions, un jour ou l’autre, ils feront aussi du pinceau haut de gamme. D’une façon générale, je pense qu’il y aura, à terme, un gros problème sur l’emploi. » explique le patron de Raval’Or, Laurent Cresci (ci-dessus).
«Le Vietnam va me payer Millau ! » La formule lancée par Mary Beyer*, gantière à Millau, qui a repris la maison Lavabre-Cadet, (sept emplois) résume sa situation, selon elle. «Si nous n’avions pas délocalisé le moyen de gamme sur le Vietnam, on fermait le haut de gamme sur Millau. Tous les autres gantiers de Millau, faisaient fabriquer leur production depuis vingt ans à l’étranger, Lavabre-Cadet ne l’a jamais fait, j’ai cru qu’on tiendrait jusqu’à ce qu’Yves Saint-Laurent Haute-Couture ferme. On a perdu 30% du CA. » explique Mary Beyer, qui a délocalisé pour sa part une partie de sa production gantière -celle du moyen de gamme- sur le Vietnam.

chine_usineUne perversité économique qui tue l’artisanat d’art
Une partie de l’image de l’Aveyron s’est bâtie autour des produits de ses artisans. A écouter les acteurs locaux de l’artisanat d’Art, l’avenir est noir. Au-delà de la pression permanente sur les prix de revient, l’invasion des productions bon marché chinoises génère une perversité économique liée à la perte chez le consommateur du sentiment de la valeur des choses.
chine_forge«Les gens ne font plus la différence entre un Laguiole à 70€ qui a nécessité trois heures de travail et un Laguiole fabriqué au Pakistan à 2€, explique Jean-Louis Leguérinel, coutelier d’Art à Conques. (ci-dessous). Il forge des couteaux uniques, bruts et sauvages (ci-dessous) . Une chose est sûre, chaque année, c’est plus dur. L’artisanat d’art va mourir. Nous ne sommes plus qu’une vingtaine à faire des couteaux d’art en France, mais d’ici peu on va tous passer à la trappe. Où alors, il nous faudrait faire de l’ultra-luxe avec une enseigne place Vendôme, mais on n’a ni les réseaux, ni les moyens. »

Du coup, c’est bien sûr le maintien des métiers et des savoir-faire, d’une touche de civilisation française que porte le problème.

«Quel jeune peut avoir envie aujourd’hui d’aller vers l’artisanat. Pour avoir un salaire décent -que l’on mérite- il fait voir ce qu’il faut faire dans ce métier. Certains fournisseurs nous demandent des prix fous. Créer un produit, le déposer et le lancer, cela ne vaut plus la peine. D’ici quelques années, les gens retrouveront peut-être la valeur des choses mais entre-temps, on aura traversé par des moments très difficiles.» explique Françoise Clarion, artisan verrier à l’atelier Vert’Art, spécialisée dans les créations de verre et qui a notamment réalisé les assiettes de Michel Bras.

L’ultra-luxe ou le très haut de gamme comme voie de sortie par le haut
C’est en tout cas le credo de bien des chefs d’entreprise d’Aveyron pour résister à cette concurrence. Le discours a été tenu lors de la reprise de la Forge de Laguiole par Bernard Divisia ou pour le nouveau pôle de ganterie en cours de réalisation à Millau. Chez Ver’Art, on y pense également. La stratégie du haut de gamme est en tout cas appuyée par Aveyron Expansion, bras armé du conseil Général pour l’intervention économique.
Mais qui dit luxe ou très haut de gamme, implique beaucoup d’appelés et peu d’élus. Jusqu’à preuve du contraire les très riches étant ultra-minoritaires, il faut les toucher par une communication adéquate, jouer l’image impalpable, les réseaux et les points d’expositions sous le regard des clients riches. On peut également espérer que l’ultra luxe pourra permettre de toucher la crème des clients chinois, ceux-là même qui lors des banquets du parti consomment du cognac XO comme on boit une bouteille de Marcillac…et dans ce cas le sens du commerce des aveyronnais ne sera pas de trop.