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Le business du Sport Nature, une spécialité aveyronnaise ?

De la voile, de l’équitation, de la rando, du quad ou du parapente, avec un soupçon de canyoning et de ballade en raquettes sur l’Aubrac. La nature a joliment doté l’Aveyron, au point d’en faire un département à part sur l’Hexagone, un département où l’on peut pratiquer presque tous les sports nature.

Une étude remontant à 1999 estimait le chiffre d’affaires de la filière à 12 millions d’euros, pour 700 emplois directs, saisonniers ou non. Pour faire valoir cette spécialisation et mieux suivre la filière, un Centre de Ressources des Activités de Pleine Nature, a été créé sous l’égide du Conseil général, de la Ville de Millau, de la CCI, du parc des Grands Causses et de la Communauté des Communes du Millavois.

Eric Tarrusson est le fondateur de Roc et Canyon et Aveyronnais 100 % pur Causse Il est aussi sec et carré que les causses millavois qui ont fait sa renommée. Fermer une entreprise de transport, les Routiers aveyronnais, pour se lancer dans le sport nature (Activités de Pleine Nature) et faire dévaler des canyons à des gens, ou les lancer d’un pont avec une corde élastique au pied, il fallait sans doute avoir un petit grain à la fin des années 80. C’est en tout cas, ce qu’ont dû penser banquiers et notables millavois, quand Eric Tarrusson a créé Roc et Canyon en 1987.

Qu’elle est loin l’époque où ce toqué de sport participait à l’époque aux pubs « Hollywood chewing-gum » avec ses copains. Depuis des milliers de cadres d’entreprises ainsi que les joueurs de l’équipe de France de Rugby sont passés entre les mains de ses équipes pour sauter dans le vide ou se faire des challenges. En Aveyron ou ailleurs.
Quinze ans plus tard, Roc et Canyon réalise un CA de 610 000 € et emploie jusqu’à 20 personnes en été. Il a fait bien des émules au point de faire du sport nature ou outdoor, une spécialité aveyronnaise, en tout cas une filière avec 200 entreprises spécialisées. Une filière devenue emblématique de l’Aveyron et de Millau.
Rien n’aurait été possible sans cette matière première exclusive que sont les Causses et toutes les facéties qu’ils autorisent. Mais il y a sans doute aussi ce caractère de bon Aveyronnais qui fait son bonhomme de chemin en croyant à son projet et passant outre le scepticisme des notables. Ce type mérite un coup de chapeau pour les emplois et les retombées économiques qu’il amène en Aveyron. L’homme a le franc parler des autodidactes lorsqu’il aborde l’apport du viaduc pour Millau, ou l’exploitation du Lot et de l’Aubrac.

Interview d’Eric Tarrusson, 51 ans, dirigeant de l’entreprise Millavoise, Roc et Canyon. Entretien réalisé le 21 avril 2004.

tarrussonAu départ, vous dirigiez une entreprise de camionnage millavoise employant près de 50 personnes ?
J’ai plutôt un profil d’autodidacte, j’ai repris à 20 ans, Les Routiers Aveyronnais. La crise du cuir dans les années 80, nous a frappé comme d’autres, de plein fouet et nous a fait perdre tous nos trafics, les peaux, les produits chimiques, les produits finis. Il aurait fallu quitter Millau pour s’en sortir, j’ai préféré vendre progressivement mes parts entre 1985 et 1988, pour me lancer dans le sport nature.

Vous étiez déjà un vrai toqué du sport ?
Mes parents étaient déjà sportifs. Ici, j’ai toujours préféré être dehors, dans la nature, que derrière un bureau. Voilà trente ans, on pratiquait tous les week-ends, canoë, escalade, spéléo, delta, dans les causses. On drainait du monde au point de se retrouver chaque dimanche avec des groupes de 20 personnes. C’est là qu’on s’est dit qu’on pouvait peut-être exploiter ce créneau.Très vite, ça a marché et on s’est alors rendu compte, que quatre mois par an, ce n’était pas suffisant. Il fallait envisager le produit différemment. On s’est mis alors à proposer des produits clés en main aux entreprises, et ce durant toute l’année. On fournissait le matériel, l’encadrement, les déplacements, l’hébergement. Très vite le bouche à oreille a fonctionné, notamment par les chefs d’entreprise qui venaient en été. Au départ, on a fonctionné avec des fonds propres, par rapport au transport, ce n’était pas des gros investissements, quelques camionnettes, et du matériel. Pendant les trois premières années, mes associés et moi, on ne s’est pas payé, on a réinvesti tous les résultats. Aujourd’hui encore, on poursuit cette politique de réinvestissement. L’été, on ne réalise plus que 25% du CA.

Pourtant, à vous entendre on dirait que ça coince en Aveyron ?
Au printemps, on réalise 80% de nos séminaires hors Aveyron, cela fait mal au cœur. Le développement de l’activité sur place butte sur l’hébergement. Quand j’organise des opérations pour 400 personnes qui ont besoin de chambres 3 étoiles, on est obligé d’aller au Portugal. Ne généralisons pas, on arrive quand même à organiser des opérations de plusieurs centaines de personnes sur l’Aveyron, comme avec l’entreprise Vinci.

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Le viaduc à Millau, cela devrait “pulser” votre activité à l’instar de l’économie locale ?
Alors qu’on savait, voilà quinze ans, que tout allait changer avec l’arrivée de l’A75 et la construction du viaduc de Millau, rien n’a été fait. Cette fois-ci, on va dans le mur car il n’y a plus d’argent dans les caisses pour investir dans du structurel. La ville n’a pas fait de réservations foncières permettant de réaliser des implantations ou des structures en dur pour l’accueil ou le séjour. Quant aux campings privés sur les berges du Tarn, les risques d’inondation empêchent toute évolution vers un habitat léger, sauf à tout démonter chaque hiver. Résultat, à partir du 17 décembre, date de l’ouverture du viaduc, on va passer d’une « politique de cueillette » – des gens en transit sur la N9 -à une politique de séjour. Sauf qu’il n’y a pas grand chose à Millau comme structure capable d’offrir des séjours qui tiennent la route. L’hiver promet donc d’être catastrophique.
Le tissu est en train de se désagréger à vitesse Grand V. Le seul salut ne peut venir que de l’extérieur. A croire que Millau n’est capable de se ressourcer que dans la catastrophe.

Roc et Canyon a été choisi par la municipalité d’Espalion pour exploiter des activités sur le Lot. Cela a généré pas mal de protestations sur place ? Pourquoi ? Croyez-vous qu’on puisse « exploiter » l’Aubrac et le Lot, hors de l’été ?
Je n’ai encore rien signé. Dans le nord du département, la concurrence semble mal perçue, alors qu’à Millau, il y a une dizaine d’entreprises comme la nôtre. La-haut, l’Adalpa (Association Départementale des Activités de loisirs et de Plein Air) semble bloquer tout développement. En n’exerçant que deux mois par an, il arrivent à proposer des prix moins élevés que Roc et Canyon qui amortit ses matériels et exploite toute l’année. Ou je travaille mal ou je suis un abruti ou il y a un problème de concurrence ? Je suis content de payer des impôts si l’Adalpa accueille des colos de petits aveyronnais, or ce n’est pas forcément le cas. Je pense sincèrement qu’il y a un potentiel énorme entre l’Aubrac et la vallée du Lot réunis, il suffit de voir le nombre d’inscrits sur le challenge de Laguiole.