A l’instar de Conques ou de Laguiole, Roquefort, est l’une de ces « mecques aveyronnaises» qui rassemblent les foules. Confits en dévotion, les touristes défilent pour visiter des caves où ne séjournent plus qu’une quinzaine de jours les pains de Roquefort. Ce qu’ignorent la multitude, c’est qu’à l’ombre du Combalou, le village est le champ clos d’une lutte féroce avec ses coups bas, ses histoires de familles, ses stratégies contrecarrées et des géants de l’agroalimentaire. L’objectif de la lutte : mettre la main sur une cave, condition sine qua non pour pouvoir faire du Roquefort.
Tant bien que mal, ces derniers ont dû s’adapter à cette spécificité sud-aveyronnaise où le producteur original est directement intéressé à la transformation de son produit notamment avec un prix du litre de lait garanti (7,009 F environ le litre, pour 240 Litres pour une saison). Première AOC créée dans les années trente, Roquefort est devenu un modèle pour la qualité de la bonne bouffe. Mais le modèle semble rencontrer aujourd’hui ses limites, comme le démontrait justement un article de l’Expansion du 11 octobre 2001 qui posait de judicieuses questions :
Peut-on faire de l’AOC et jouer la carte des grandes surfaces et des prix cassés comme cela se pratique depuis quelques années ? Et agiter l’épouvantail américain des rétorsions douanières qui ne touchent que 2,5% de la production, symbole fort appuyé par un José Bové national, n’est-ce pas être à côté de la plaque ? Par exemple si l’on sait que l’équilibre économique du fait des surplus de lait de la filière Roquefort tient à d’autres productions plus méditerranéennes qu’aveyronnaises comme la feta (22% de la production laitière) ou le Pécorino pour les surplus de lait de brebis, (payé 1,65 F le litre). Or voilà des années que les Grecs réclament aussi l’usage exclusif de l’appellation Feta. D’où un débat chaud entre Lactalis, géant fromager actionnaire de Société, soucieux de lancer son Salakis, même sans la mention Feta, et les producteurs faisant pression pour garder l’appellation.
Justement, quand on parle de Grec, tout cela évoque un certain Platon et son mythe de la caverne où des hommes enchaînés au fond d’une caverne prennent pour réalité les ombres projetées contre les parois par ceux qui défilent avec des objets. Y-a-t-il au fond des fleurines du Combalou des hommes enchaînés à des symboles ?
La brebis, la famille, le berger et les clôtures.
A voir le prix du litre du lait, un peu plus de 7 francs, à voir la production de chaque brebis -près de 240 litres par an- on se dit que le Roquefort est une affaire rentable pour les éleveurs.
Or pour vivre décemment un couple avec enfants doit posséder au moins un troupeau de 250 têtes, et le plus souvent, la femme doit y ajouter un complément de revenu.
Derrière les coefficients multiplicateurs, il ne faut pas oublier les quotas, seule une partie du lait est payée à ce prix, et surtout les investissements qui pèsent lourds dans les bergeries avec les engins de traite et le respect des normes d’hygiène. Sans parler bien sûr de la terre car il en faut des prairies pour faire paître ces brebis.
Or le climat sec du sud Aveyron ne permet pas une densité supérieure à trois brebis à l’hectare. Et puis, il y a les anciens qu’on ne veut plus garder chez soi parce qu’on a une nouvelle maison toute neuve.
Résultat : les grands espaces ponctués de troupeaux, risquent de se faire plus rares. Les bergers cédant leurs places à des clôtures. Berger, un métier, qui si l’on y prend garde relèvera bientôt du musée des arts et traditions populaires… et non de la réalité rurale sud-Aveyronnaise.