Pierre Soulages, moine soldat de l’Art abstrait. Au Centre Georges Pompidou, ils n’y sont pas habitués ! Ça devrait être le stress absolu, cet accrochage. Pensez, un géant mondial de la peinture abstraite qui a peint quasiment que du noir et dont les toiles supposent, plus que toutes les autres, un éclairage particulier pour faire ressortir les émotions.
Et pourtant à J-6 du vernissage d’une exposition qui va rallier des centaines de milliers de visiteurs, dans ce 6ème étage de Beaubourg protégé comme un bunker, on sent comme un apaisement.
On voit Pierre Soulages assis avec son épouse, sa « muse », Colette, au milieu d’une grande pièce, détendu, faisant déplacer une étiquette ou étalonner la hauteur d’une toile en toute quiétude. C’est lui qui a pensé le système d’accrochage de ses grands polyptyques mis ensemble pour la première fois. Il se lève et lentement déploie un corps de géant droit comme un i majuscule. On a du mal à imaginer qu’il aura vu, dans quelques semaines, 90 hivers se succéder.
«Je n’ai jamais vu un accrochage aussi serein. Pierre Soulages est d’une richesse humaine incroyable, confie une salariée du Centre Pompidou, il m’apaise.» Est-ce son côté moine, sa force spirituelle peu commune ? Au milieu de Paris, c’est lui qui impose son rythme du temps.
Soulages est un ancien dans le noble sens du terme. Le voir, contempler son œuvre, balaye de votre esprit toutes les escroqueries morales démagogiques et jeunistes, de Jeff Koons à Secret Story. Pierre Soulages n’a rien de la froideur que laissent parfois imaginer quelques photos. Normal, ni lui ni son œuvre n’ont jamais plongé dans les artifices de la séduction et du sourire commercial.
En revanche pour peu que l’on pince la bonne corde, il laisse échapper cette chaleur propre aux Aveyronnais avec une voix profonde qui ne trompe pas sur le pays d’origine. Lancez-le sur les racines et vous verrez.
Sur Pigüe, la colonie Aveyronnaise d’Argentine, il est intarissable. Il vous parle du frère de son arrière grand-père parti suivre Clément Cabanettes en 1890 qui a fondé une colonie dans la Pampa. Il est fier également de rappeler qu’il y a des Soulages là-bas. Il vous explique qu’une fois, voyant une photo de lui dans un article de Paris-Match de 1960 consacré à l’enterrement d’Atlan, un cousin Argentin l’avait repéré. «Ce Soulages-là ne peut-être que des nôtres» avait-il lancé. «Un jour Claude Imbert, (fondateur du Point-NDLR) m’a fait tourner dans son film consacré à l’émigration aveyronnaise. Je lui ai dit, “mais moi je vis en France ». « Oui, mais toi tu es un immigré de l’intérieur” m’avait-t-il répondu». Et c’est vrai que par bien des aspects Soulages vit comme un moine reclus face à son art et sa spiritualité. Comme l’explique, Pierre Encrevé, les abbayes de son enfance, celle de Bonnecombe ou de Conques, l’ont marqué à jamais.
Une chose est sûre cet « immigré de l’intérieur » qui aura peut-être bientôt son musée à Rodez, mérite d’être connu par tous les Aveyronnais. Surtout par les jeunes à qui son œuvre peut offrir une autre respiration et une autre façon de percevoir la vie que par le bling ou le ting d’un SMS !