Portraits

André Debru, sculpteur de métal des Costes-Gozon

Qui vous colle sur le dos une étiquette d’artiste ? Les écoles d’art, les galeries, les médias ou les mécènes ? Qui décrète qu’on est face à de l’art ou à de l’artisanat? L’essor des réseaux sociaux et la montée corrélative d’un niveau général d’ignorance ne clarifient pas le débat.


Pourquoi dès lors ne pas oser la comparaison entre un Damien Hirst, artiste britannique de 56 ans qui expose ses cerisiers à la Fondation de Cartier et un André Debru, créateur forgeron rouergat depuis cinq décennies au village des Costes-Gozon dominant la Vallée des Raspes du Tarn. Le premier, artiste fétiche du milliardaire François Pinault – s’est fait connaître en immergeant des moitiés de vaches dans du formol. Lesté d’un patrimoine de 300 millions d’euros, il a licencié fin 2020 une soixantaine de ses salariés selon le site britannique The Art Newspaper. 

Le second n’a ni petites mains pour « collaborer » à sa grande œuvre, ni millions au fond des poches. Il s’affirme artisan et réfute le terme d’artiste. Ce qui n’empêche pas ce fils et petit-fils de forgerons du village de créer, marteau et chalumeau en main, des sculptures de métal oxydé qui tiennent autant de l’arche de Noé que de l’univers de la BD. 


Il a débuté il y a 56 ans, un CAP de forgeron en poche, à souder les socs de charrue et autres remorques. A l’époque de l’autarcie des campagnes aveyronnaises, le forgeron réparait tout. Puis André Debru a dévié vers des fantaisies de soudures qui ont tapé dans l’œil d’abord de touristes britanniques, belges et hollandais avant que sa notoriété ne grandisse et que les commandes ne se mettent à tomber.
On est touché par la singularité des créations de ce maître du marteau et du chalumeau dont le talent de la main et la malice de œil se rejoignent… Son singe déjanté -sa sculpture préférée- résume à elle seule son caractère facétieux. Même si son éléphant taille réelle ou sa« miss éolienne » aux courbes  sensuelles ne laissent pas de marbre.

Obélix a troqué le sanglier pour une Citroën?


En bon aveyronnais qui aime en avoir dans son assiette, il  semble avoir été davantage influencé par les courbes et rondeurs des personnages d’Uderzo que le style filiforme de Giacometti. Ainsi son Obélix chargé d’une vraie Citroën ZX devant un Astérix et un Idéfix ébahis au-delà de l’allégresse qu’il procure ne manque pas de force symbolique sur la fin de la voiture thermique.  En revanche, ne lui demandez pas une brebis lacaune, emblème de ce sud Aveyron dont le lait fait le roquefort et la prospérité. « Je n’en n’aurai jamais fait si on ne m’en avait pas commandé, je préfère les races à corne des Pyrénées» où d’ailleurs il compte de nombreux admirateurs. Il travaille aussi pour l’Office Nationale des Forêts qui lui commande des cerfs, des biches, des loups… Il y a aussi les commandes particulières comme ce Johnny juché sur une Goldwin pour un ancien maquignon devenu châtelain dans l’Ariège… Mais le fait est qu’il regrette le conformisme de ses contemporains dans leur commande, comme si la fantaisie et l’imagination n’étaient plus de ce monde.

Le cancer qui l’a conduit en « chimio » il y a quatre ans n’a pas eu sa peau témoigne ce jeune créateur de 69 printemps. De sa voix de rogomme façonnée par la limaille, il déclare, pince sans rire, qu’il fait « trois fois 35 heures par semaine, 35h pour préparer le travail, 35 h à travailler et 35h à parler». On le croit volontiers quand on pousse la porte de son atelier, l’homme est intarissable. 

Un regret nait de la rencontre avec le bonhomme.  Aucun élève n’est là pour recueillir le savoir-faire et son sens de la créativité. Sujet sensible : « Je connais des jeunes presque quadras plus intelligents que moi. Ils savent s’organiser pour percevoir 550 € par mois sans avoir rien fait de leur vie… Le système est assez c..pour payer des gens qui ne veulent pas bosser » grince André Debru qui en bon Aveyronnais a la religion du travail et de l’effort.  « J’en vois qui viennent ici et qui cherchent la machine à plier le fer » 

André Debru
12400 Les Costes-Gozon
Tél : 05 65 49 17 28

https://www.fondationcartier.com/expositions/damien-hirst