C’est un natif de Saint-Affrique qui connaît Paris comme sa poche. Il y a fait quasiment toute sa carrière. Pas dans la limonade mais dans la police.
Jean-Pierre Birot a débuté sa carrière un 1er mai 1968 à la Crim comme inspecteur stagiaire. Même s’il connaîtra de nombreuses affectations dans la capitale -commissariat de quartier dans le XIXe arrondissement, 6ème DPJ dans le XIVe-, la Brigade Criminelle du «36 quai des Orfèvres» sera le pivot de sa vie professionnelle. Il y deviendra commissaire divisionnaire avant de finir au service de protection des hautes personnalités. Ses mémoires de commissaire à la Crim sont un plongeon dans la criminalité entre les années 70 et 80. Elles permettent de repasser en revue une série d’affaires qui ont défrayé la chronique. Et de réfléchir sur les grandeurs et servitudes d’un grand flic de la PJ parisienne.
Au « 36 », Jean-Pierre Birot a longtemps été d’abord un « procédurier », celui qui verrouille tous les détails d’un crime pour bien orienter l’enquête. Il a surtout bien « dérouillé » avec une incroyable diversité d’affaires. De la disparition du cercueil du Maréchal Pétain aux « flags » sanglants comme celui du braquage du gang des postiches dans les années 80. Sans parler d’assassinats abjects comme ceux commis par Thierry Paulin, le tueur des vieilles dames de l’est parisien ou l’assassinat de l’opposant iranien Chapour Bakhtiar. Il a aussi connu les grands enlèvements comme celui du Baron Empain. Jean-Pierre Birot relève à ce sujet une certaine « résistance » des patrons de la Crim de l’époque face au pouvoir politique. En dépit des pressions pour des hommes comme le commissaire Pierre Ottavioli, il n’était pas question de fléchir en payant les rançons. Les risques étaient élevés – on se souvient du petit doigt coupé du Baron Empain- mais la stratégie a payé et la France n’est pas tombée dans le cauchemar italien où les enlèvements étaient presque devenus monnaie courante à l’époque. D’autant que malgré le paiement des rançons, on ne revoyait pas toujours l’otage …
L’Aveyron apparaît en filigrane dans son parcours. Par exemple, en octobre 1982, lors de son entretien de « recrutement » comme commissaire chef de section à la PJ par le patron de la Crim de l’époque Jacques Genthial. Ce « Grand flic » du 36, décédé en 2020, Ruthénois d’origine, sera débarqué en mars 1984 après avoir été mis sur écoute comme des centaines de personnalités par la cellule des « gendarmes de l’Elysée ». Ses échanges téléphoniques avec l’écrivain Jean-Edern Hallier, organisateur de son propre enlèvement et détesté par François Mitterrand pour avoir révélé l’existence de sa fille Mazarine ne seront pas du goût de certains. Plus tard, Jacques Genthial sera l’auteur d’un rapport sans concession sur la déshérence de la Police scientifique française. Et il sera à l’origine de sa modernisation. Nul besoin de souligner aujourd’hui son importance dans la résolution d’enquêtes criminelles…
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Certes, depuis le déménagement de la PJ Parisienne au « Bastion» des Batignolles, le « 36 » n’évoque plus qu’un âge en noir et blanc avec le commissaire Maigret et de longues enquêtes avec ses témoins, ses déductions et ses grands crimes mystérieux. Un autre siècle à l’heure des « défouraillages » à la kalachnikov entre dealers de cités.
Pourtant, à la lecture de ce livre on se dit qu’on a parfois un peu trop tendance à enjoliver le passé. A preuve, l’affaire du gang des postiches à laquelle Jean-Pierre Birot consacre un chapitre demeure pour lui un cauchemar. Non parce qu’il aurait pu y laisser sa peau – la balle d’un des gangsters ayant manqué de lui faire sauter la caboche- mais parce que ce « flag » va se révéler catastrophique. Le 14 janvier 1986, lors du braquage du Crédit Lyonnais rue du Docteur-Blanche ( Paris XVIe) tout va aller de travers, des interférences radio à la coordination entre les policiers. Et surtout entre une BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention), l’anti-gang du Commissaire Broussard, plutôt chargée des enquêtes en amont au long cours sur les grands malfrats et la BRB (Brigade de Répression et du Banditisme) davantage orientée vers l’action. Des flics se regardant en chien de faïence et une affaire de ripoux incriminant notamment l’inspecteur abattu pendant le braquage qui est venue couronner le tout… L’abcès a mis longtemps à se refermer. Comme semble le résumer Jean-Pierre Birot, il n’y a pas que les voyous qui se piquent au chardon de la Crim.
Jean-Pierre Birot : La Crim, qui s’y frotte, s’y pique
Mareuil Editions
Prix : 20€
interview Jean-Pierre Birot
Bouille ronde et joviale, cordialité et caractère pétillant du Rouergat méridional, on a parfois du mal à concevoir que Jean-Pierre Birot a croisé la route de tant de criminels…
Il y a eu beaucoup d’Aveyronnais dans la police parisienne ?
J’imagine que oui quand on voit le nombre d’originaires d’Aveyron à Paris. Il y a eu surtout des grands flics tels que Jacques Genthial, à l’origine du renouveau de la police scientifique et qu’on a appelé le Bertillon des Temps Modernes ou Georges Clot dans les années cinquante qui fut chef de la Brigade criminelle.
Vous êtes-vous souvent servi de votre arme en opération ?
La seule fois où je m’en suis servi, j’ai tiré en l’air. J’ai tout de suite arrêté car cela faisait courir encore plus vite les malfrats !
Comment la criminalité a-t-elle évolué depuis que vous avez quitté la police ?
Il y a beaucoup plus d’affaires de stupéfiants et le terrorisme est devenu une préoccupation majeure. De mon temps, c’était plutôt des braquages. La police scientifique a apporté d’énormes changements. Mais la base du métier d’un inspecteur de la Crim demeure la même. Le porte à porte, l’interrogation des témoins, la relève des indices. Ce qui fait l’ADN de la Crim, c’est un esprit d’équipe. Car même le dernier du groupe peut trouver un témoin déterminant qui va relancer une affaire enlisée.
A votre époque, les interrogatoires des suspects étaient-ils plus « musclés » ? On a souvent évoqué les coups de bottin qui ne laissaient pas de trace ?
A mon époque, ils avaient été remplacés par le Minitel. S’il y a pu avoir des excès dans le passé, aujourd’hui on semble être tombé dans le système inverse. On ne met pas le détenu en condition pour qu’il avoue. On lui dit qu’il a le droit de ne rien dire et d’avoir un avocat. Le formalisme est devenu très lourd. Il faut notifier la garde à vue et faire des rappels de procédures périodiquement.
Nous, on se relayait. On avait des éléments. On mettait la pression psychologique. On lui mettait le nez dans ce qu’il disait et on remettait la pression. Surtout il faut bien se dire que les aveux ne suffisent pas. Il faut obtenir des détails que seul le meurtrier peut connaître. Je ne dis pas qu’en situation d’urgence, on n’a pas mis quelques « tartes » mais enfin on a passé personne dans la baignoire !
Quand on a vu comme vous jusqu’où parfois l’homme est capable d’aller, est-ce que cela déteint un peu sur votre votre façon de vivre ou dans vos rapports avec autrui ?
Bien sûr, j’ai croisé des assassins. Dans l’humain, il y a le pire et le meilleur. Je suis bien avec tout le monde. Et un sourire détend bien les choses.
Comment réagissez-vous face aux images des manifestations récentes ?
J’ai connu mai 68 et les « CRS-SS ». On ne pillait pas et on ne s’attaquait pas aux personnes pour tuer. Aujourd’hui, on dit que ce sont les extrêmes. Mais il n’y a pas que les blacks-blocs. Ils sont rejoints par des « excités » dont certains – paraît-il- sont des fils de bonne famille…