Agriculture Terroir d'Aveyron

Vent de fronde contre le Persillé Lou Pérac

Le Persillé de Lou Pérac est un bleu de brebis que Société s’apprête à commercialiser. C’est du roquefort ? «Non, répond-t-on chez Société, c’est un fromage pasteurisé, un brebis plus doux qui répond à la demande des consommateurs.» Un bleu de brebis qui n’a évidemment pas besoin d’être affiné dans les caves de Roquefort ni même de recourir au lait des brebis Lacaune aveyronnaises si chèrement payé par les industriels aux éleveurs.

En tout cas, depuis que son lancement est officiel, ce persillé de brebis fait beaucoup de remous autour du Combalou, (la montagne de Roquefort). Car, ce fromage mûri et affiné dans les cervelles des équipes du marketing de Lactalis n’a pas l’heur de plaire sur place aux éleveurs. Car on sait que l’AOC roquefort, première AOC historique française, c’est sacré en Sud Aveyron. Toucher au Roquefort, c’est toucher au poumon économique. Alors, on comprend volontiers qu’un fromage pasteurisé de brebis, produit par Société, premier producteur de Roquefort, sans aucune contrainte de fabrication, plus doux, pasteurisé et plus facile à vendre sur les linéaires, peut être perçu comme un danger.
«Cette initiative risque de porter un coup fatal à Roquefort,» averti un ancien cadre de Société. Jacques Bernat, le patron du syndicat des éleveurs de brebis, a demandé pour sa part à Société de retirer le projet. Une épreuve de vérité pour les éleveurs qui permettra ou non mesurer le poids et le pouvoir au sein de la filière.
Les éleveurs et les autres industriels de Roquefort sont donc vent debout. Les premiers par la voie de leur syndicat ont demandé à Société et donc à Lactalis de retirer leurs projets. La balle est dans le camp de l’industriel, qui pour avoir dans son giron, la première AOC fromagère ne peut suivre son concurrent Bongrain, adepte « des fromages Canada Dry », type Etorki ou Saint-Agur ; des fromages qui ressemblent à des vrais fromages au lait cru AOC mais qui n’en sont pas, ce qui permet ainsi de réaliser des bonnes marges compte tenu de l’absence des contraintes de fabrication et d’hygiène. Ce qui n’est plus le cas du Roquefort dont les ventes plafonnent, la faute aux sodas et autres douceurs sucrées qui ont transformé les palais français en antichambres de la fadeur…

 

Entretien avec Jacques Bernat, président du syndicat des éleveurs. (4 octobre 2006)
« Comme si on enfonçait un coin dans l’armure du roquefort.“

Que pensez vous de la sortie de ce persillé de brebis par Société baptisé Persillé de Lou Pérac ?
Le 3 octobre, on s’est réunis toute la journée, on en a discuté longuement. On s’est prononcé contre la sortie de ce produit en évoquant le risque que cela faisait courir pour l’appellation d’origine Roquefort.
On va donc essayer d’avoir gain de cause. La Société des Caves c’est une entité qui s’identifie à la région, ce n’est pas parce que les propriétaires ont changé qu’ils peuvent imposer de loin leurs vues.

Quand avez-vous eu connaissance de la sortie de ce produit ?
On l’a appris durant l’été. Mais il faut savoir que ce projet de produire un persillé de brebis est un “vieux dada” qui existe depuis plusieurs années chez Société.
Accoler Bleu de brebis et Société, et c’est le Roquefort qui en prend un coup. D’autant que ce produit n’aura aucune contrainte de territoire ou d’affinage dans les caves naturelles.
J’espère que les gens de Lactalis vont comprendre, sinon ça va poser de sérieux problèmes. S’ils s’obstinent et que ce fromage sort, ça sera comme si on enfonçait un coin dans l’armure du roquefort.

 

 

Société n’est-il pas tenté de suivre l’exemple du groupe Bongrain ?
Bongrain peut faire du faux (Etorki, Saint-Agur), car il n’est pas embêté, compte tenu du fait qu’il n’a pas d’AOC. Nous, on sait bien que le Roquefort plafonne dans ses ventes, on n’est pas contre la diversification, mais pas n’importe comment.

C’est un bleu plus doux que le roquefort que les consommateurs attendent ?
Malheureusement oui, les études consommateurs font remonter des tendances assez fortes vers du plus doux. Pour nous, c’est une interrogation forte pour l’avenir. Elle ne touche pas simplement Roquefort mais toutes les appellations fromagères qui souffrent de leur typicité dans un monde moderne où le sucre est roi.
Mais il est vrai qu’en France on peut s’interroger sur le poids de la grande distribution sur la mise en marché qui atteint un niveau inconnu ailleurs. Cela aboutit à un diktat qui impose aux consommateurs une façon d’être et de consommer. Est-il normal que sur les linéaires le prix sur des produits AOC soient très élevés, sans aucun rapport avec le prix payé aux producteurs ?