(Interview donnée le 24 mai 2006)
Compte tenu de la pression qui s’exerce sur la grande cuisine comment s’y prend-t-on pour transmettre sereinement une affaire comme la vôtre à son fils ?
MB / J’essaye d’assurer une transmission en bonne intelligence de façon à ce qu’il y ait le moins de pression possible. Je pense que ceux qui disent ressentir cette pression le veulent bien. Sur l’Aubrac, j’arrive à m’en extraire car j’ai envie de préserver ma famille et mon couple.
Dans le milieu de la cuisine, j’ai vu des passations de témoins douloureuses parce qu’on n’avait jamais laissé le fils s’exprimer et qu’on le jetait en pâture un peu trop tard.
Sébastien a 35 ans. Pour lui, c’est maintenant ou jamais.
SB / Moi je me mets des œillères. Je fais mon travail comme on l’a toujours fait. Mes valeurs sont propres à notre famille. Je ne cours pas après la Une des magazines et je sais que Sébastien Bras ne sera jamais Michel Bras.
Pour moi, ce sont les clients qui comptent. A eux de reconnaître le travail qui est fait.
J’ai déjà rencontré une situation extrême en 1998. A l’époque, nous avions deux étoiles. Mes parents étaient partis durant quatre jours. Et voilà que débarque le directeur du Guide Michelin, je l’ai reçu. L’année suivante, nous avons eu la troisième étoile.
Entre mon père et moi, il n’y a pas de conflit, de rupture ni de différence de génération. Ce que mon père a fait voilà vingt ans, en étant à l’avant-garde, est aujourd’hui d’actualité. Nous partageons la même vision des choses.
Quand pourra-t-on considérer comme effectif le passage de témoin à Sébastien ?
MB / Le passage de témoin, c’est un présent actif. Sébastien travaille avec moi depuis 1995, il a le bonheur et la chance d’avoir une épouse -Véronique- qui le suit et l’accompagne dans sa vie. Cela me rend heureux de voir cette symbiose, lui en cuisine, elle au contact de la clientèle. On procède par étapes. On a commencé avec le Livre (Bras, Laguiole, Aubrac – Editions du Rouergue) en 2002, nous avons aussi créé un label Bras pour décliner nos produits et communiquer dessus. Depuis trois ans, Sébastien et Véronique vivent sur le site avec ce que cela peut impliquer en cas de pannes électriques et autres alertes pendant la nuit.
SB/ On n’a pas encore fixé de date butoir pour le passage.
Et la répartition des rôles ? c’est vous le Pdg, et lui le Dg ?
MB / C’est un peu ça. Par exemple en début de saison lorsque l’on reçoit les équipes du personnel. Je fais une présentation de l’univers Bras, de notre façon de fonctionner, de l’aspect sentimental et émotionnel qui s’attache à notre maison.
Sébastien prend la suite et fait une présentation plus technique.
Au plan juridique, nous avons été chez notre notaire, car ayant deux fils, je ne voulais pas léser le cadet par rapport à l’aîné. Il y a une société d’exploitation et une société propriétaire de l’ensemble, mais Sébastien et Véronique savent qu’ils travaillent pour eux. Les décisions se prennent à quatre avec les deux couples, Ginette et moi, Sébastien et Véronique.
A vous entendre tous les deux, il n’y a donc aucune ligne de rupture entre vous ?
MB/C’est sans doute lié à la façon dont nous avons conçu notre métier Ginette et moi, à la lecture du terroir que nous avons eu au début des années 90. A l’époque, on passait vraiment pour des “fêlés”. Étant à l’avant-garde, nous n’avons pas rencontré avec Sébastien les conflits de génération que l’on peut voir dans d’autres établissements.
Evidement, il y a des différences d’approche, mais ce n’est jamais conflictuel. On est vraiment complice, on fait du sport ensemble, de la course à pied, et on se parle.
On partage la même vision du management. Il est très important que notre personnel se sente bien. Car si un jour le gargouillou n’est pas parfait, si il est offert avec le plus beau sourire, ça peut tout rattraper. On essaye d’être en pointe, on a mis en place le pointage horaire en 2000, ce qui n ’était pas courant dans la restauration. On essaye aussi d’être transparent en cohérence avec l’Aubrac.
SB/ On est sur la même longueur d’ondes par exemple lorsque l’on sort avec les Bras KC, l’association qui réunit les membres de l’équipe. On fait des sorties tous les lundis. On a des raids VTT dans le moyen Atlas et des vendanges dans le Gaillacois. C’est fondamental de s’occuper du personnel.
Alors qu’est-ce qui vous différencie ?
MB/ Sébastien a ses créations et j’ai les miennes. Mais il est totalement formaté Bras, il est dans la ligne directrice. C’est-à-dire une façon de penser et de concevoir les choses.