Dans le genre chauvin et ombrageux sur leur culture, les Catalans valent largement les Aveyronnais. Alors lorsque l’un de ces derniers fait un carton en même temps qu’il se fait un nom à Barcelone, cela ne passe pas inaperçu. Bon, c’est vrai que le chef Jean-François Ferrié est loin d’être inconnu dans le milieu de la gastronomie aveyronnaise…
Ce natif de Najac tient son sens de l’autorité et de l’exigence d’une belle table de son père, chef de gare de Toulouse, le sens du goût par sa mère, le savoir-faire par sa grand-mère, cuisinière hors pair. Ecole hôtelière de Toulouse en 1959, service militaire comme cuisto sur le Jean Bart où des officiers ayant combattu en Indochine l’initient aux subtilités de la cuisine asiatique.
Il rejoint Paris où il travaille dans quelques unes des grandes adresses, Tour d’Argent puis chez Fauchon comme traiteur, avant de tenir son propre restaurant l’Auberge de France, rue du Mont Thabor. C’est là qu’il rencontre Carlos son meilleur ami Catalan. Il redescend à Rodez dans les années 80 où il tient le Régent puis un autre établissement au Parc Saint-Joseph. Un désaccord entre associés le fait finalement succomber aux sirènes catalanes qui le travaillent depuis longtemps. Installation à Barcelone en 1990 où il tient le San Pauli. Deux ans plus tard, il est choisi pour prendre les rênes du restaurant de la Maison du Languedoc-Roussillon.
A 63 ans, on ne se refait pas. Le Chef Ferrié ne mâche pas ses mots. Il dit ce qu’il pense même si c’est à rebrousse-poil de la tendance dominante. C’est un homme de paradoxes malgré lui. Aveyronnais, il est le chef d’un des restaurants les plus renommés de Barcelone, la Maison du Languedoc-Roussillon, où il conçoit un cuisine largement puisée au répertoire catalan et recourant aux produits du cru, ceux de la Méditerranée. Sa cuisine fait toutefois ça et là de belles incursions dans le sud-ouest français.
«Ici, j’ai appris à redécouvrir le travail du poisson.» A Barcelone, au célèbre marché de la Boqueria près des Ramblas, Jean-François Ferrié est une figure redoutée des poissonniers. Celui qui lui refilera un saint-pierre ou un turbot non pêché du jour n’est pas encore né. Jean-François Ferrié a aussi ses bonnes adresses pour les épices avec des endroits capables de vous vendre un kilo de safran, le pistille le plus cher du monde.
Autre paradoxe, au pays de Ferran Adrià, le chef d’El Bulli, salué par la presse mondiale comme le meilleur cuisinier du monde, Jean-François Ferrié, innovateur dans l’âme, se fait le défenseur de la grande gastronomie dans ses canons les plus classiques. Pour lui, la Grande Cuisine doit puiser son inspiration dans les produits et les traditions du pays où on la sert. Ainsi trouve-t-il dommageable que la cuisine catalane actuelle ne soit assimilée qu’à celle du chef d’El Bulli.
On sent un gros regret sur l’étoile Michelin qu’il n’a jamais eue pour une sombre histoire de macaron affiché au Régent. Histoire ancienne. Jean-François Ferrié a trouvé son bonheur à Barcelone avec sa femme et ses deux filles. Ne serait-ce la petite ombre de ses démêlés avec Georges Frêche, à propos de l’avenir de la Maison du Languedoc, son lieu, son bonheur est sans tâche. S’il peut revenir chaque été au Pays pour revoir ses amis d’enfance et leur mitonner un plat…c’est tout ce qu’il demande.
Interview de Jean-François Ferrié
Comment avez vous été accueilli à Barcelone ?
Ici, même un Français ne peut pas croire s’intégrer d’un coup sur le seul prétexte qu’il est français. Il faut s’adapter aux goûts des gens. Quand je fais une escalivade (NDLR plat catalan traditionnel servi froid à base de poivrons, d’aubergines et d’oignons), je la dresse en dôme et la recouvre de lamelles de foie gras. Quand je fais de la lotte rôtie, je l’accompagne au jus de roquefort. Je n’ai pas été trop dépaysé car la cuisine catalane puise ses racines dans la Méditerranée, on y retrouve les mêmes bases : recours à l’huile d’olive, aux poissons et aux poivrons.
Question cuisine, pour beaucoup, la Catalogne se résume à Ferran Adrià, le chef de « El Bulli» ?
Il est très gentil, il est venu ici une ou deux fois. Il représente une forme de cuisine très moderne, basée sur des compositions à essai, avec des cristallisations, des mousses ou des croustillants. C’est plus pour moi une cuisine du futur. Mais ce n’est pas une cuisine qui plaira à un voyageur à la recherche d’une cuisine européenne. Ainsi dire que ce qu’il fait est de la gastronomie, c’est dire n’importe quoi. A mes yeux, la gastronomie doit correspondre à une cuisine locale ancrée dans les lieux et la géographie. Par exemple, quand on est loin de la mer, on n’ a pas intérêt à faire des spécialités de poisson.
Le fooding, ce n’est donc pas votre truc ?
Tout cela m’évoque un début de décadence un peu à l’exemple de l’Empire Romain. Je ne le supporte pas ! Je suis contre ces mélanges sucré-salé à tous les repas. Au lieu de servir les gambas avec du citron, mettre de la muscade, du curry et un morceau de sucre, je trouve ça ridicule. Et malheureusement, ce n’est pas faire preuve d’innovation mais tomber dans l’ordinaire et le banal.
Comment jugez-vous la pression médiatique qui entoure la grande cuisine de chef aujourd’hui ?
Pour moi, Ducasse est un cran au-dessus de tous les autres. Nous nous sommes connus avant qu’il ne décroche ses trois étoiles à Monte-Carlo. Ducasse garde toutes les traditions de la cuisine, je pleure à chaque fois que je déguste sa cuisine. D’autres font n’importe quoi, comme Marc Veyrat ou Pierre Gagnaire. Cette façon de présenter les assiettes, de partir du bord, ça ne me plait pas. Pour moi, un bord d’assiette ça doit être propre. Quant à la langue employée, je préférais Bernard Loiseau qui parlait de la cuisine d’une façon plus agréable.
Et la cuisine mondiale ?
Les Anglais ne sont pas à la hauteur, les Américains n’ont pas d’histoire, ni ne sont assez civilisés pour se permettre de critiquer l’Europe.
Et l’Espagne ?
En 17 ans, l’Espagne a fait des progrès, mais ils sont encore loin d’arriver à la cheville de la cuisine française. Quand je suis arrivé en 1990, il n’y avait pas de laitues, ni de haricots verts. Aujourd’hui, on a tout ce qu’on désire.
Tenir la Maison du Languedoc-Roussillon quand on est d’Aveyron en Midi-Pyrénées, plutôt surprenant ?
Ne m’en parlez pas ! J’avais été choisi par Jacques Blanc, le précédent président de la Région Languedoc-Roussillon pour animer le restaurant de la Maison du Languedoc-Roussillon ouverte pour les JO de 1992. Depuis, j’en ai fait une belle adresse. Comme Georges Frêches, l’actuel président de la Région du Languedoc s’emploie à défaire tout ce qu’a fait son prédécesseur, il a décidé de se séparer de la Maison du Languedoc. Seulement voilà , moi je suis le titulaire du fonds de commerce. Et le fait de dire que la Maison du Languedoc était fermée m’a déjà porté un tort considérable. Nous sommes en procédure d’arbitrage pour régler ce différend. Il faut aussi savoir que les Catalans n’ont guère apprécié que le président de la région Languedoc-Roussillon, déclare que le patois catalan n’intéressait personne.
La Maison du Languedoc-Roussillon
Pau Claris, 77 (métro Urquinaona)
Barcelone
Tél. (34) 93 301 04 98