Mercredi 23 août
Geneviève (la fille du docteur Gondal-ndlr) est partie de bonne heure ce matin à Ivry pour aider au plan de détresse pour la répartition du lait aux enfants. (…) Dans la journée, elle avait l’air assez désabusée de la conduite de la population pillant son ancien centre et d’autres lieux avec le retour des anciens maires et chefs extrémistes à la mairie.
A Paris période de calme et d’agitation intermittentes aux canonnades et mitrailleuses. Le Grand palais brûle incendié par les allemands attaquant un poste de défense.
(…)L’Hôtel Jeanne d’Arc est occupé par un petit état major de la FFI. On annonce que les troupes du général Leclerc sont à Arpajon.
Jeudi 24 août.
Nuit et matinée de pluie continue. Combats relativement calmes mais non supprimés. A l’heure où j’écris 17 h, on est en train de former une barricade en face du Lutétia avec des voitures et des arbres. A l’instant même des tanks survenus tirent au canon sur le barrage mais sont obligés de se détourner n’ayant pu le franchir.
N’étant pas sortis de la journée nous allons avec Marcelle voir les barricades de Lutetia. La rue de Rennes est en effervescence, des voitures annonçant l’arrivée des troupes françaises du général Leclerc à la Porte d’Orléans puis de Vanves et à Issy les Moulineaux. Il fait presque nuit mais en un clin d’oeil toutes les fenêtres se couvrent de drapeaux. On s’attend à les voir défiler. Mais chacun rentre chez soi avec désillusion sans les avoir vus. La radio parisienne vraiment désordonnée dans le fond et dans la forme annonce des défilés et la libération complète déjà depuis quelques jours.
Bombardement ininterrompus et très rapprochés aux environs de l’école Militaire. On reçoit continuellement des coups de téléphone d’amis enthousiastes et anxieux à la fois. (…). C’était un soulagement de communiquer fréquemment avec les uns et les autres, ses amis ou parents éloignés dans des quartiers dangereux et d’avoir ainsi l’esprit éclairé et le coeur rassuré.
vendredi 25 août : Premiers français libres à Paris
La fin de la nuit a été un peu plus calme. Aux premières heures de la journée, le bd Raspail pavoise et nous voyons passer avec émotion quelques voitures isolées de l’armée française, marocaines probablement. Toute la rue est en fièvre. Ils sont enfin vraiment là ! On entend tout à coup dans le voisinage de la rue de Sèvres des feux assez nourris de fusils ou de mitrailleuse. Le canon lui-même se fait entendre vers le quartier latin ou les Tuileries. Bref malgré pavoisement et enthousiasme ; il ne paraît pas que la situation de bataille ait changée dans la ville et les allemands n’ont pas du tout l’air de vouloir capituler. Détail particulier on ne voit pas d’avions ces jours-ci sauf un ou deux patrouilleurs ce matin à basse altitude paraissant allemands.
Des tanks et voitures françaises et américaines viennent de plus en plus nombreux salués par les applaudissements nourris de la population. Un peu après midi, une canonnade intense tonne d’une part au quartier latin et d’autre par vers la Concorde et la Chambre des Députés. On a l’impression très nette que c’est l’assaut aux places fortes allemandes. Nous avons l’impression assez émouvante d’être en pleine bataille. Depuis ce matin, on a vu circuler aucun tank allemand. On note une forme assez surprenante et très désagréable d’une guérilla invisible. Des tireurs disposés partout sur les toits et presque impossible à dépister tirent des coups de feux isolés mais très fréquents dans toutes lesrues et tous les quartiers.