Sélectionné au festival de Cannes 2024, Miséricorde, dernier film d’Alain Guiraudie est sorti en salles le 16 octobre. Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement d’un ami boulanger. Logé par sa veuve incarnée par Catherine Frot qui lui propose de prendre le relais, les choses vont s’envenimer avec un des deux fils jusqu’à ce que…
En bon Aveyronnais, Alain Guiraudie, originaire de Villefranche-de-Rouergue, creuse sans relâche un sillon cinématographique singulier. Avec ce thriller rural, pas besoin de faire appel à son imagination, on est bien en Aveyron. Cela saute aux yeux dès les premières scènes de ce Miséricorde tourné à Sauclières. Ce n’est pas l’Aveyron ensoleillé des plus beaux villages ou les estives aubraciennes mais un pays un peu sauvage avec ses villages déserts, dont certains habitants semblent à la dérive, du moins dans un laisser-aller. Guiraudie filme en clair-obscur une nature puissante et automnale où l’on sentirait presque l’humus de la forêt qui peut aussi recouvrir un corps… Elle révèle chez lui une obsession de la terre qui renvoie à celle du poète et écrivain occitan Jean Boudou à qui on peut le rapprocher par bien des côtés. Pas simplement par son origine géographique de l’ouest Aveyron, mais aussi, bien sûr, par une œuvre littéraire et cinématographique à la marge qui fait appel aussi aux contes et revendique ses racines occitanes.
Malgré le côté sombre et un climat parfois pesant, Miséricorde ne fait pas peur. C’est presque le contraire, on rit parfois face à ce film frais et réjouissant, en tout cas à l’opposé de la tyrannie des apparences véhiculées par la télé et les réseaux sociaux. Ici, pas de maquillages ni lifting mais un prosaïsme des corps d’hommes qui bien que parfois flasques sont traversés par des désirs puissants. A côté du héros énigmatique incarné par Félix Kysyl, il y a bien sûr ce prêtre omniprésent, Jacques Develay, dont la démarche semble avoir donné son titre au film. Il n’hésite pas à tomber la soutane et à se mettre au lit avec le coupable pour lui offrir un alibi sans honte face au regard du gendarme. Mais attention, ce prêtre a peu à voir avec le Montgomery Clift de La Loi du Silence d’Alfred Hitchcock tenu par le secret de la confession…Ne parlons pas des affres du Curé de Campagne de Bernanos.
Les rapports entre homosexualité et église catholique sont d’ailleurs un des thèmes de prédilection d’Alain Guiraudie comme il l’a souligné lors d’une séance de signature à Millau le 24 septembre (lire plus bas). Cela ne manque pas de sel quand on connait le nombre de vocations nées dans les larges fratries aveyronnaises tout au long des siècles. Mais plutôt que de stigmatiser l’Eglise, surtout en ces heures où l’affaire de l’Abbé Pierre en remet une couche, le réalisateur en appelle à ses racines catholiques et à son passé de communiste pour évoquer la recherche du bien. Dans une France marquée par la division et la stigmatisation de « l’autre », homme , femme, riche, pauvre, blanc, noir, politique, homo, macho etc…cela ne fait pas de mal que d’aller éprouver sa vision de la Miséricorde. On en ressortirait presque l’âme légère et ce quels que soient ses penchants sexuels.
«La grivoiserie vis-à-vis de l’église catholique et du clergé m’intéresse beaucoup. Je suis né dans un village aveyronnais, j’ai été baptisé et j’ai été au catéchisme. Le prêtre et l’instituteur étaient encore des figures fortes du village dans les années 70. Le prêtre vivait au milieu de ses ouailles… Même gamin j’étais sensible à ça et j’ai découvert l’érotisme de la religion catholique que je connais le mieux dans ses peintures et ses sculptures. J’ai redécouvert aussi des choses toutes bêtes en retournant à la messe il y a 6 ou 7 ans, à savoir la dimension anthropophagique de la religion. Quand même, on mange le corps du Christ et l’on boit son sang ! Ça m’a éclaté à la figure …
Durant les années 30, 40 et 50, la voie du séminaire et la vie de curé ont toujours été une voie de secours pour les homosexuels à la campagne. Sinon la vie devenait impossible pour celui qui n’avait pas envie de se marier et d’avoir des enfants. Il y a des auteurs comme Frédéric Martel dans Sodoma pour qui tout le clergé est au minimum homosexuel. Moi je dis au minimum qu’il y a des homosexuels pas pratiquants et des homosexuels pratiquants…Forcément ça ma parle.
Et puis il y a toute la partie qui parle à mon côté communiste. Mon livre «Rabalaire » joue beaucoup sur l’amour du genre humain que j’ai pu avoir en tant que communiste et sur l’amour du prochain qui est du côté des curés. Les préceptes de la religion catholique sont à la base supers.