Histoire et culture

La maîtresse américaine du château de Belcastel

Pour faire vivre sa place forte millénaire des bords de l’Aveyron, Heidi Leigh, la châtelaine de Belcastel, n’a pas ses deux pieds dans le même escarpin. C’est sans doute pour cela que cette pétillante New-Yorkaise, galeriste à Soho qui ne déparerait pas dans une nouvelle version de Manhattan par Woody Allen, a été faite Chevalier des Arts et des Lettres en mars 2017.

Telle une Aliénor d’Aquitaine récupérant son fief après sa séparation d’avec Louis VII, Heidi a fait de même après son divorce. Elle est désormais la seule maîtresse du château de Belcastel acquis en 2004 avec son mari, Nicholas Leone … Elle passe trois mois par an sur place à superviser les visites du public et organiser des expositions avec un certain génie de l’a-propos. Par exemple, lorsqu’elle suggère aux artistes de s’inspirer de la légende de Madame Blanche, le fantôme de Belcastel. Depuis dix siècles, cette âme en peine réserve ses plaintes aux seuls résidents masculins du château façon de rappeler le machisme médiéval de son mari, Alzias de Saunhac, qui l’a précipité dans le vide après l’avoir surprise avec un homme dans la chambre conjugale.

Mais il n’est pas obligatoire d’être amateur de peinture surréaliste pour visiter Belcastel. Chaque saison 22 000 visiteurs viennent découvrir la place forte médiévale. Heidi Leigh a su faire du château ressuscité par l’architecte Fernand Pouillon entre 1974 et 1982 un site médiéval aveyronnais recherché. Dès le franchissement de l’étroit pont-levis, c’est un saut de dix siècles dans le passé. Le parcours de la visite est balisé de façon intelligente et l’équipe d’accueil efficace et chaleureuse.

Salle des gardes, prison, petite chapelle primitive exhumée par Fernand Pouillon avec fragment de fresque de Marie-Madeleine, armures … Signe des temps, les douves ont été transformées en piscine pour les heureux occupants de la chambre d’hôte pittoresque- nichée dans l’une des tours du Château.

Un symposium en mémoire de Fernand Pouillon architecte hors normes et auteur du livre « Les Pierres Sauvages* »
Sacré destin que ce grand architecte reconstructeur du Port de Marseille en 1946 tombé sous le charme des pierres médiévales qui connut la prison et l’évasion. Antithèse de Viollet-Leduc et d’une architecture idéalisée du moyen-âge incarnée par les rénovations des remparts de Carcassonne ou du château de Pierrefonds, Fernand Pouillon qui acheta la ruine de Belcastel en 1974 pour 20 000 €, se concentra sur la réhabilitation du château originel. Celui de la Guerre de Cent ans et des routiers sans pitié. Il le rebâtit sans recourir aux techniques modernes du BTP. « Fernand Pouilon était un humaniste, un artiste, j’aime son intégrité. Il a restauré cet endroit sans machines modernes avec des technologies médiévales «  dit Heidi Leigh. Pour mieux faire connaître son oeuvre et faire vivre sa mémoire, elle a créé avec l’accord de la famille de l’architecte une Association pour la défense de l’héritage de Fernand Pouillon. Objectif : organiser en 2020 un symposium dédié à Pouillon et un concours ouvert aux étudiants européens en architecture dont le vainqueur pourra être embauché dans un grand cabinet et éventuellement voir son projet réalisé. Reste à Heidi Leigh à trouver le sponsor.

Abbaye du Thoronet
*C’est en prison où condamné injustement pour avoir cumuler les casquettes d’architecte et de promoteurs que Fernand Pouillon écrivit les Pierres Sauvages. Récit à la première personne de la construction de l’abbaye du Thoronet (Var) par un disciple fictif de Bernard de Clairveaux, le livre reçut le prix des Deux Magots en 1965.