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Maurice Raynal, l’ami de Picasso

Picasso lui a tout de même donné une esquisse des Demoiselles d’Avignon…
A l’époque, cela avait plus une valeur sentimentale que marchande. Picasso a peint les Demoiselles d’Avignon en 1907 et ne les a montrées au public que neuf ans plus tard. Le tableau s’appelait d’abord le Bordel d’Avignon puisque c’était une scène d’un bordel de Barcelone situé rue d’Avignon. L’œuvre était une telle rupture que ce grand tableau était caché au fond de l’atelier. Picasso ne le montrait qu’aux personnes qui pouvaient le comprendre comme mon grand-père, André Salmon ou le marchand Daniel Henry Kahnweiler. C’est d’ailleurs pour ça que Picasso lui avait offert cette esquisse -aujourd’hui au Moma de New-York- qui montrait qu’au départ, la toile était peinte en rose. C’était donc un prolongement de la période rose.
Trente ans plus tard, mon grand-père assistera également à la réalisation de Guernica qui préfigure la Seconde Guerre mondiale.

Les deux œuvres sont exposées au Musée d’Art Moderne (Moma) de New-York

A cette époque, votre grand-père rencontre Germaine, votre grand-mère, une blanchisseuse de Montmartre ?
Au départ, il n’ose pas la présenter à ses amis du Bateau-Lavoir dont il craint les excentricités. Alors qu’il est en Aveyron, ma grand-mère se fait “draguer” le matin avec insistance par deux jeunes hommes dont l’un à un regard de braise typiquement espagnol. Rentré de Capdenac, Maurice se résoud à présenter ma grand-mère à ses amis du Bateau-lavoir. Quand il arrive dans l’atelier, il se rend bien compte du sourire gêné de Juan Gris et de Pierre Reverdy qui découvrent que la jolie blanchisseuse était en fait la fiancée de mon grand-père…

Maurice et Germaine Raynal peints par Juan Gris
Maurice et Germaine Raynal peints par Juan Gris

Sur ce plan des mœurs, vous racontez que votre grand-père a cassé sa canne sur le dos de Modigliani car il avait manqué de respect à votre grand-mère ?
Le statut d’artiste ne permettait pas tout. Un jour Modigliani a commencé à appeler ma grand-mère Ma chérie et à la tutoyer. Mon grand-père lui a cassé sa canne sur le dos. Le peintre ne lui en a pas voulu. Au contraire pour se faire pardonner, il a emmené mon père qui devait avoir quatre ou cinq ans, au cinéma voir des films de Buster Keaton. Et comme il n’avait pas les moyens de payer deux places, il l’a pris sur ses genoux. Ainsi mon père, a vu tous les films de Buster Keaton sur les genoux de Modigliani.

Après la guerre, votre grand père devient un critique d’art et le premier à consacrer un livre à Picasso ? 
En 1921, il se dit que c’est le moment de faire la première monographie de Picasso. Mais mon grand-père s’est ensuite intéressé à d’autres artistes qui ne jouissaient pas encore du même succès et qui avaient peut-être encore plus besoin d’être soutenus. Par exemple il a pris fait et cause pour le travail de Juan Gris ou celui de Fernand Léger
Il n’était pas exclusif du tout. Il s’est intéressé à Miro, qui faisait plutôt partie de la mouvance surréaliste. A l’époque, on avait encore du respect pour celui qui savait écrire. Le grand public faisait confiance aux critiques d’art. Après diverses collaborations, il devint responsable de la rubrique des Arts de “l’Intransigeant” un grand quotidien d’avant guerre plutôt de droite. Lui, ce qui l’intéressait c’était de parler des artistes. En tant que journaliste, l’action de témoigner suffisait, indépendamment de ses options politiques.

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Et pendant la Seconde Guerre mondiale ? 
Mon grand père s’est retiré dans sa maison de Quincy-Voisin s’interdisant d’écrire dans les journaux d’occupation. Quand les Allemands ont envahi la France, il a fait une dernière fête avec ses amis artistes afin de cacher et d’enterrer dans le jardin des toiles cubistes menacées de pillage par les nazis.
Pendant la parenthèse de la guerre, il en a profité pour préparer tous les livres qu’il a publiés jusqu’en 1955 notamment avec l’éditeur suisse Albert Skira. Picasso et mon grand-père sont toujours restés amis. Le jour de la mort de Maurice, Picasso qui avait l’habitude de se répéter chaque jour le nom de tous ses amis proches, a oublié celui de mon grand-père. Dans un entretien avec un ami, il lui révéla que ce jour-là, il s’était senti coupable.

 

Maurice Raynal, La Bande à Picasso
Editions Ouest-France
Prix : 35€