Pour l’amour d’une bergère rouergate.
Arrivé en Rouergue en novembre 1769, Jacques-François Loiseleur Deslongchamps s’installe à Durenque en février 1770. Accueil glacial du seigneur local qui ne voit pas d’un bon œil cette incarnation de l’Esprit des Lumières venir rompre un ordre établi et basé -il faut bien le dire- sur l’ignorance et la crainte des pouvoirs traditionnels.
Du coup, les habitants dont fort peu parlent autre chose que le patois le regardent avec méfiance. Heureusement, il y a l’agriculteur Boudou, un notable qui vit au hameau du Vitarel. Il lui propose spontanément l’hospitalité. Sa famille a déjà accueilli Monsieur Cassini il y a quelques années. Au pied du Lagast, l’endroit est en effet idéal on domine toute la région. Il servira au géographe pour ses calculs par triangulation après avoir construit son signal.
La maison des Boudou est une ferme traditionnelle du Ségala composée d’une pièce principale d’environ 25 m2 autour d’une cheminée, une souillarde sert d’office à l’arrière. Un escalier permet d’accéder aux chambres à l’étage. Le fermier y vit avec sa femme et ses six enfants. L’aînée s’appelle Marie – Jeanne. Elle a treize ans, elle est bergère et elle a les yeux de Chimène pour le beau géographe. Elle s’occupera de son linge et guettera son retour pour écouter à la veillée les histoires captivantes du jeune érudit.
Pendant près de dix ans d’Andorre jusqu’aux Alpes du Queyras, Loiseleur Deslongchamps sillonne le sud de la France. Mais il revient toujours au Vitarel dont il fait sa base arrière et où l’hospitalité simple et chaleureuse des Boudou lui apporte réconfort. Au fil des séjours, une idylle sincère se noue avec Marie-Jeanne. Mais ses parents et le curé du village sont effrayés par la différence de classe entre les tourtereaux C’est probablement pour cela que le mariage prévu initialement à Durenque a lieu finalement à Rodez en l’église Saint–Amans le 20 mars 1774.
Le bonheur de leur union est néanmoins soumis aux vicissitudes de la vie. L’œuvre de Cassini étant achevée, le géographe se retrouve sans emploi. Sa générosité le pousse à ne pas réclamer son dû à ses débiteurs dans le besoin. Ses créanciers n’ont pas les mêmes scrupules envers lui. Il trouve un emploi d’ingénieur dans des mines de plomb de Poullaouen en Bretagne mais Marie-Jeanne habituée à l’air pur des montagnes aveyronnaises supporte mal cette atmosphère malsaine et tombe malade. Ils abandonnent cet emploi. Pour subvenir aux besoins du couple, Jacques–François a recours à toutes sortes d’expédients. Il va même jusqu’à travailler comme cantonnier sur les routes et a recours à l’aumône des prêtres. Les temps sont très durs mais l’amour de Marie–Jeanne lui permet de tenir. En 1783, retour au Vitarel. Il obtient un emploi au cadastre. Là, ses compétences alliées à sa propension à toujours rendre service lui valent un grand nombre d’amitiés. L’embellie matérielle de leur quotidien n’efface pas le regret de ne pas avoir d’enfants.
Texte de Paul Loiseleur des Longchamps.