Un Aveyronnais de Paris et d’Europe
Quand on est de la roture, ou de petite noblesse rouergate comme Raynal, rien ne vaut la soutane pour progresser dans l’échelle sociale et rallier la capitale.
Raynal a été formé par les Jésuites à Rodez avant d’enseigner chez eux, à Béziers, Clermont et Toulouse.
Ordonné prêtre, l’abbé Raynal quitte les jésuites et monte à Paris à l’âge de 33 ans, pour célébrer des messes à Saint-Sulpice.
Pour s’assurer une indépendance matérielle, il vend des sermons à des confrères en mal d’inspiration. Péché véniel. Plus grave, il est au centre du scandale lorsqu’on découvre qu’il a monnayé l’inhumation de protestants en les faisant passer pour des catholiques…
Comme l’explique Gilles Bancarel, tout au long de sa vie, Raynal sera très lié aux protestants qui sont alors les piliers du commerce international.
Il fuit l’église Saint-Sulpice, et devient précepteur d’enfants de grandes familles de la capitale. C’est là qu’il va vraiment commencer à se tisser un réseau de relations aussi influentes qu’utiles et qu’il commencera à fréquenter les célèbres salons.
Mais tout abbé qu’il est, Raynal semble avoir également des activités peu avouables, si l’on en croit une rumeur de l’époque, il rendait des services honteux aux ministres… dans une époque connue pour son libertinage.
Avant les bougnats et les Costes, Raynal préfigure la réussite sociale de l’Aveyronnais de Paris.
Il incarne avant l’heure l’esprit amicaliste rouergat qui à sa suite se distinguera dans les affaires et la littérature avec le Flore et la Coupole.
Certes, contrairement aux porteurs d’eau et aux bougnats d’un siècle plus tard, il est un privilégié issu d’une famille de la petite noblesse. Mais cela ne suffit pas pour se faire un nom et faire fortune dans la Capitale. A l’époque l’enclavement du Rouergue n’est que géographique. Les idées nouvelles y circulent. Et Raynal a pu à loisir y frotter son esprit.
De plus, né à côté de Séverac, Raynal a passé son enfance à Saint-Geniez d’Olt, cette perle du XVIIIeme rouergat au sommet de sa prospérité, grâce au commerce des draps. Raynal est parfaitement au fait du commerce des idées et des marchandises de son temps. Il connaît le trafic triangulaire, le trafic
des esclaves dans lequel certains commerçants de Saint-Geniez ont sans doute des intérêts puisqu’ils importent de l’indigo destiné à teinter leurs draps.
Raynal est bien Aveyronnais par l’acharnement au travail. C’est par sa plume qu’il va vite se constituer une petite fortune. Comment ? En prenant soin d’imprimer et d’écouler lui-mêmes ses œuvres. Ce qui est d’autant plus important à une époque où les droits d’auteurs n’existent pas, chose pour laquelle Beaumarchais militera avec ardeur. Raynal n’oublie pas le pays, comme les amicalistes 130 ans plus tard, il enverra périodiquement des donations pour les pauvres de sa paroisse de naissance Lapanouse et encourage les meilleurs agriculteurs de sa province.
Il n’est pas le seul Rouergat en vue dans la capitale. Il entretient des relations avec d’autres compatriotes comme le naturaliste Bonnaterre qui étudiera l’enfant sauvage de Saint-Sernin, ou les encyclopédistes Pestre, Valadier et Pechméja. Il n’hésitera pas à les faire collaborer à son Histoire des deux Indes. S’il aide et s’appuie sur ce réseau du pays, il sait également entretenir et jouer des relations bien au delà de ce cercle ; avec par exemple les Voltaire, Diderot, et Choiseul, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de Louis XV.