Comme son ami, l’universitaire Gilles Bancarel, autre habitant de Castelnau-Pégayrols, François-Paul Rossi œuvre à faire sortir Raynal de l’oubli dans lequel l’a jeté Robespierre. Son roman « Diderot était mon nègre » est une plongée tourbillonnante dans le siècle des Lumières.
D’abord « utilisé » par Louis XV et son ministre des affaires étrangères, Choiseul, pour influencer l’opinion publique grâce à des ouvrages téléguidés, l’Abbé Raynal est devenu avec son « Histoire des Deux Indes », véritable best-seller de l’époque – un des leaders d’opinion dont les idées ont conduit à la Révolution. En prédisant l’indépendance des colonies américaines dix ans avant leur révolution, il passe pour un prophète à son époque.
Ce roman, écrit à la première personne, fait prendre conscience de l’envergure de ce Rouergat hors norme mais avec légèreté. On y croise la Pompadour avec qui il fricote comme avec beaucoup d’autres, Diderot qu’il fait « piger », Mozart, franc-maçon comme lui, dont il finance les frasques parisiennes, Mme de Staël et tous les grands noms du XVIIIe. Les fondateurs de la démocratie américaine rédigent dans son appartement le traité d’Amitié franco-américain. Un pur héros des Lumières.
Sa gloire est aussi élevée que la haine qu’il suscite chez ses ennemis. Après une tentative d’assassinat en 1774. En 1780, il fuit la France pour échapper à l’embastillement. L’interdiction prononcée en chaire dans toutes les églises de France de son ouvrage capital, « l’Histoire des Deux Indes » va propulser les ventes de l’ouvrage à des niveaux jamais atteints pour l’époque. Mais la Révolution dont il a contribué à l’avènement aura raison de sa gloire.
Interview de François-Paul Rossi (entretien réalisé le 3 octobre)
« Diderot était mon nègre », c’est un titre un peu provocateur pour un roman sur Raynal ?
Je me suis appuyé sur le travail de Gilles Bancarel. Le roman est là pour éviter la polémique car il y a des aspects très « chauds ». On dit que Raynal n’a rien écrit, que l’Histoire des Deux Indes, c’est Diderot. En fait, Raynal est d’abord un génial rédacteur en chef, un champion de la communication moderne. Il commence avec la communication royale pour le compte de Choiseul (ministre des Affaires étrangères de Louis XV). Au bout de 25 ans, il va changer -est-ce par opportunisme pour suivre l’opinion ou par conviction profonde ? Toujours est-il que l’Histoire des Deux Indes, c’est la quintessence de l’Encyclopédie.
Raynal est le chaînon manquant pour comprendre l’histoire de la Révolution. C’est un champion de la communication moderne, un journaliste qui a réussi à mettre le feu à l’Europe. On ne peut pas laisser les Français ignorer ce détonateur …
Comment expliquez vous que la persistance de cet oubli ?
Il faut croire que le robespierrisme est encore puissant, j’ai pu le voir encore à l’œuvre avec des censeurs il y a une quinzaine d’années quand nous avons voulu avec Gilles Bancarel faire paraître un ouvrage sur le plan national.
La gauche le considère comme un suppôt de la bourgeoisie possédante. Les aristocrates n’oublient pas qu’il les a trahis. Peut-être faudrait-il commencer par arrêter de l’appeler l’Abbé Raynal car aujourd’hui encore ce titre le dessert.
L’adresse de Raynal à l’Assemblée nationale en 1791 n’a pas été du goût de tous ?
Il a voulu sauver le roi. Il pensait que la Révolution allait évoluer comme en Amérique, il voyait la France comme une fédération des provinces comme la Suisse ou la Belgique avec au sommet Louis XVI, un système avec des provinces fédérées.
Lors de la lecture du discours, il y avait 20 députés d’accord avec Robespierre tandis que les autres avaient la trouille… C’est comme cela que Robespierre a repris la main.
A ce sujet, vous décrivez bien le rôle de Robespierre dans cette mise aux oubliettes ?
Avec la mort politique de Raynal commence la grande ascension de Robespierre.
Robespierre n’aurait pas hésité une seconde à le faire raccourcir mais Raynal est intouchable. On l’a alors ridiculisé par des gravures de caricature. Elles font partie de la machine de démolition médiatique de Raynal. Ainsi Raynal qui a régné par les médias, sera tué par les médias.
Pourtant, il n’est pas à l’abri de grosses bourdes, comme lorsqu’il déclare à Franklin et à Jefferson qu’il y a une dégénérescence plus rapide pour les hommes en Amérique…
Par cette anecdote attestée par Jefferson j’ai souhaité montrer que Raynal a été le premier à expérimenter lui-même cette tendance au parti pris que nous avons tous. Cette facilité avec laquelle on se fait des idées toutes faites.
A propos de Frankin et de Jefferson, il s’agit de francs-maçons comme Raynal ?
Avant 1780, les « maçons » sont très peu nombreux à l’époque mais extrêmement actifs. C’est le « gratin » de la République des Lettres. Autour de Raynal, il y a non seulement le cercle des Encyclopédistes, mais également le sommet d’une l’intelligentsia planétaire d’obédience maçonnique. Franklin et Jefferson sont frères par la maçonnerie. Il y a aussi Newton, Mozart et bien d’autres…
C’est une star du 18ème siècle, il croise Mozart, « fricote » avec la Pompadour ?
Rien n’est prouvé pour la Pompadour, mais on peut l’imaginer car l’époque était très galante. Tout le monde courtisait tout le monde. Plus sérieusement, Raynal a été choisi par Choiseul pour faire la propagande de la relance de l’Ecole militaire qui était défendue par la Pompadour.
Justement, c’est à cette occasion qu’il essaye de faire racheter par l’armée des exemplaires de son livre, ce qui dénote un aspect un peu déplaisant d’un homme qui veut profiter au maximum du système ?
Effectivement, certains l’accuseront de voracité, moi je dis que c’est un Aveyronnais qui a le sens des affaires.
Diderot était mon nègre par François-Paul Rossi
Millau, éditions Clapas, aout 2010
329 pages 23 Euros
ISBN 978 2 914616 92 8
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