Le 6 février 1944 fut la dernière fois qu’il le vit. A huit ans, Daniel Carrière assiste à l’arrestation de son grand-père, Alfred Merle, par la Gestapo dans la maison familiale millavoise. Cela l’a marqué à tout jamais. Et l’ouvrage qu’il a dédié aux deux résistants que furent Alfred Merle et Jean Carrière, son grand-père et son père, est un hommage justifié. Il mérite une lecture approfondie car on y suit, notamment à la lecture des lettres d’Alfred Merle, l’évolution de la situation au jour le jour, par des hommes dont l’engagement moral semble relever aujourd’hui du mythe.
L’incompréhension d’Alfred Merle et de ses contemporains face à la crise des années trente n’est pas éloignée de la nôtre aujourd’hui. Il y a l’extension du chômage mais aussi la faillite de banques comme la banque Villa à Millau, qui ruine nombre de petits gantiers et aboutit à une baisse des salaires de 25% pour plusieurs centaines d’ouvriers. Du coup, le climat social se dégrade. En 1935, de longues grèves frappent la ganterie millavoise.
Car sur le plan historique, l’ouvrage a un autre intérêt. C’est aussi une chronique millavoise. Les deux protagonistes, issus du protestantisme Cévenol, ont compté parmi les acteurs principaux de la ganterie, secteur industriel dominant à Millau qui exportait ses productions jusqu’aux USA. Alfred Merle, rejoint par son gendre, Jean Carrière, travaillaient chez Buscarlet authentique patron social qui pratiquait la participation des salariés aux bénéfices en prélevant 14% des bénéfices pour leur retraite et leur prévoyance.
On y apprend que durant l’Occupation, après un sévère rationnement en peaux, les ganteries millavoises conserveront une bonne partie de leur activité « grâce » à l’invasion de l’URSS par la wehrmacht. La ganterie Buscarlet, considérée comme une « maison gaulliste » du fait notamment des prises de positions d’Alfred Merle, recevra moins de commandes de paires de gants destinées au front de l’est que certains concurrents beaucoup plus engagés dans la collaboration. En revanche, avec les peaux allouées pour les commandes allemandes, la ganterie Buscarlet réalisera des moufles pour les résistants du maquis.