Economie et Politique

Le système Puech

S’élevant au-dessus des brumes, et enjambant les causses, Jean Puech le géant aveyronnais domine depuis trente ans son pays Rouergat. Qu’il nous pardonne ce photo-montage qui n’a d’autre objectif que de mettre un peu de légèreté dans un débat sérieux intervenant dans un climat presque trop crispé. Trop peut-être pour des Aveyronnais qui tiennent aussi à leur joie de vivre.puech5

A la veille des cantonales de mars 2004, bilan, interviews, concernant l’homme fort de l’Aveyron depuis près de trente ans.

Le « système Puech »

C’est peu dire que Jean Puech a marqué l’Aveyron. Au moment où près de la moitié des cantons d’Aveyron vont renouveler leurs conseillers généraux, peu de départements peuvent se targuer d’avoir eu le même homme à leur tête durant 28 ans.
En 1976, lorsque le jeune Puech, professeur de physique, élu du canton de Rignac, prend la présidence du Conseil général, il apparaît comme l’incarnation d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui met fin à un règne des notables assez caractéristique de l’Aveyron.
Vingt-huit printemps se sont succédés depuis.
Et que ce soit dans la Chine des Ming, la France de Louis XIV ou l’Aveyron de Jean Puech, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Celles décrites par les philosophes des Lumières semblent encore d’actualité. Tout pouvoir corrompt. Un pouvoir trop longtemps détenu ne s’expose-t-il pas à des phénomènes de Cour et de clientélisme ? Au point de susciter une opposition plus affirmée.
Frémissement inhabituel dans le Landernau rouergat, ne voilà-t-il pas qu’un autre sénateur du Rouergue, Bernard Seillier, candidat à Sévérac-le-Château, se présente comme une alternative à Jean Puech. En dépit de son ancrage dans la droite traditionnelle, il est soutenu par de nombreux élus de toutes tendances qui voient en lui une alternative crédible.

Jean Puech, le Rural.
L’Aveyron est un département rural avec 37 cantons sur 46. Jean Puech, élu de Rignac et ancien ministre de l’Agriculture d’Edouard Balladur, le sait mieux que personne. Cette ruralité, il ne l’oublie pas lorsque le Conseil général soutient la politique de signes de qualité de la Chambre d’Agriculture ou participe au financement d’un beau stand de l’Aveyron dans le Hall 1 du Salon de l’Agriculture (ci-contre) . L’image de la qualité d’un terroir et de produits authentiques qui suscite plus que jamais l’engouement des Franciliens pour le Salon ne peut que profiter aux producteurs Aveyronnais. Jean Puech aime son Aveyron. Il a su promouvoir l’image d’un pays sauvage doté d’une histoire et d’un patrimoine unique qui correspond bien aux attentes des urbains stressés. Des millions ont été investis dans des Thermes de Cransac et autre Conservatoire des Templiers. L’investissement sera sans doute payant sur le long terme. Elu de Rignac, Jean Puech n’oublie pas d’où il vient. Et sur place, ses électeurs n’oublient pas tout ce qu’il a fait pour le canton.

Jean Puech, le verrouilleur.
L’Aveyron, pays enclavé par un relief tourmenté n’échappe plus à l’air du temps et aux nouvelles réformes. La diversité des opinions et les intérêts contradictoires entre Aveyronnais, par exemple entre partisans d’une nature sauvage et agriculteurs soucieux de rendement, rendent les arbitrages de plus en plus difficiles. On le voit depuis trois ans avec les débats sur les fameux Pays. Cette nouvelle entité destinée à coller aux réalités locales, en permettant de partager projets et investissements sur un territoire –y compris au-delà du département- n’a cessé d’alimenter débat et polémique.
Jean Puech a eu du mal à supporter l’existence de projets de Pays sortant des limites cantonales et à fortiori des limites départementales, tel le fameux Pays Quercy-Rouergue. Plutôt que de négocier ou de prendre acte des projets, il a tenté de jouer la carte de la menace aux subventions. Mauvaise pioche. Une centaine de maires aveyronnais, (soit un gros tiers) ont réagi et se sont réunis au sein d’un « réseau de vigilance » pour contester ce verrouillage. Aujourd’hui, ils souhaitent une alternative au système Puech (Lire ci-dessous, l’interview d’Anne Blanc).

Jean Puech, le moderne.

Soutien aux entreprises
Jean Puech est peut-être un rural, il sait depuis longtemps que l’agriculture de papa, c’est fini. Réduction du nombre d’agriculteurs et augmentation des cheptels et des surfaces, obligent à jouer la carte des services, du tourisme et de l’industrie pour compenser la perte des emplois agricoles.
Jean Puech a de la chance, il peut s’appuyer sur l’esprit d’entreprise des Aveyronnais. Voilà quelques dizaines d’années, ces derniers étaient forcés de s’exiler à Paris ou ailleurs pour réussir. C’est encore le cas trop souvent pour les jeunes Aveyronnais. Heureusement quelques entrepreneurs lancent des affaires au pays. Nombre d’entre eux s’appuient sur la bonne image de l’Aveyron – qui n’est pas le seul fait du Conseil général, mais bien aussi des Aveyronnais-. Parmi les entrepreneurs aveyronnais qui réussissent, beaucoup avouent profiter d’une écoute et d’une assistance de la part de structures départementales qui tombent à pic pour soutenir des développements (lire notre dossier Chine et délocalisations). D’autres pointent en revanche la permanence de l’enclavement routier surtout à l’ouest, le prix élevé de l’avion vers Paris, ou le vieillissement de la population (l’Aveyron est le quatrième département le plus vieux). Autre inquiétude : la perte d’identité aveyronnaise de bien des entreprises locales rachetées par des grands groupes.

Micropolis : dossier chaud
Jean Puech a fait preuve d’audace avec Micropolis. Qu’il y ait eut des dépassements de devis, ou des erreurs sur les prévisions de fréquentations, ce peut être compréhensible sur un projet tel que celui-ci. Ce qui l’est moins c’est l’importance du dépassement pointé par la Chambre Régionale des Comptes (90 millions de francs à la place de 17 millions de francs), et surtout l’impression que le Conseil général a été à la fois juge et partie. En clair que les travaux comme les prévisions aient été réalisés sous la houlette de la même structure, la SEM 12. Le recours à des cabinets d’études indépendants capables d’apporter un regard critique aurait pu être pertinent pour mieux cerner les conditions de la réussite d’un projet de cette ampleur. Cette absence d’expertise indépendante manque souvent en Aveyron.
(plus d’informations sur le dossier Micropolis sur le site de la Cour des Comptes).

Haut-débit :
Autre illustration de la modernité : la distorsion de traitement entre ville et campagne sur le plan des Télécoms. Il s’agit bien sûr de l’internet haut-débit. Comparé à d’autres départements qui ont entrepris de réaliser des réseaux de fibres optiques, l’Aveyron a pris le train en marche.
Les élus n’ont perçu que tardivement le caractère primordial de ces infrastructures non seulement pour attirer mais surtout pour garder les entreprises (lire notre dossier haut-débit paru voilà un an). Il y a là l’opportunité de rééquilibrer la balance des avantages au profit d’un monde rural, ce qui relève plus de l’Etat que du Département.
Certes, il y a eu la signature en février 2004 d’un protocole avec France Telecom pour le développement de l’ADSL. Cela ressemble à un examen de rattrapage. Thierry Breton, le pdg d’un France Telecom ultra-endetté du fait de ses turpitudes, aura bien besoin, du soutien de sénateurs tels que Jean Puech pour résister à une concurrence de plus en plus sévère. On peut risquer la question : les millions de Micropolis n’auraient-ils été pas mieux utilisés dans les Télécoms ?

Jean Puech, le départemental.

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Travaux routiers près de Lassouts. En Aveyron, plus qu’ailleurs le Conseil général a un rôle de proximité affirmé notamment dans l’entretien des routes et l’aide aux personnes âgées

Jean Puech est un vrai politique français et sans doute le meilleur en Aveyron si l’on prend la longévité comme critère. C’est un “tueur“ disent de lui certains élus aveyronnais. Il a “bétonné” son pouvoir autour d’une des structures les plus symboliques de la République – et paradoxalement mal connue des urbains- le Conseil général. Il est encore pour quelques temps le président de la puissante Assemblée des Départements de France. Un vrai lobby qui parvient le plus souvent à ses fins.
Une ligne de clivage transcende les partis politiques entre ceux qui plaident pour la disparition de l’échelon départemental au profit d’une intercommunalité et d’une région plus puissante et ceux qui défendent son maintien.

Tous les observateurs politiques, à commencer par le journaliste Aveyronnais Claude Imbert, peuvent trouver l’échelon départemental anachronique, sa disparition n’est pas encore au programme.
Au contraire, les Conseils généraux vont récolter davantage de compétences avec la dernière loi sur la Décentralisation. A eux l’entretien des nationales et la gestion des agents des DDE ou la gestion du RMA (Revenu Minimum d’Accès). Soit une dotation de l’Etat de 8 milliards d’Euros.

Au-delà, pour bien des politiques français, le Conseil général demeure une excellente base de pouvoir et un vrai bastion. Il peut être très riche, parfois plus que la région. Près de la moitié des 100 présidents de Conseils généraux sont également parlementaires, principalement des sénateurs élus pour neuf ans.