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Roger Béteille, géographe, romancier

beteilleAvant d’être un romancier, Roger Béteille, 
l’inventeur de la “France du Vide“, est d’abord un géographe. Ce professeur honoraire de l’université de Poitiers est l’auteur d’un concept qui a fait flores : La France du Vide.

Son passé d’universitaire n’empêche pas cet Aveyronnais d’être à l’affût de tout. Il connaît les Aveyronnais de Paris, pour leur avoir consacré une thèse au terme d’une recherche de douze ans. En cette période troublée, où pour certains, les repères ont tendance à chavirer, Roger Béteille a accepté de faire un tour d’horizon avec nous sur l’Aveyron et les Aveyronnais, et de tracer quelques lignes forces.
 Ce romancier a beau aimer son Rouergue, il n’est pas du genre nostalgique et pessimiste. Ce n’est pas non plus un révolutionnaire, ni un fou de réformes. Il attend de voir ce que valent les futurs Pays pour se prononcer. Son dernier roman, “Les Chiens muets“ est paru en mars 2003 aux Editions du Rouergue.

Vous êtes l’auteur d’un ouvrage sur l’Aveyron au XXème siècle, quelles sont les grandes lignes du changement pour ce XXIè siècle?

Il y a une mutation accélérée. Les Aveyronnais, par les médias, perçoivent ce qui se passe à l’extérieur au premier degré. Cela bouscule les traditions. Quant aux jeunes, ils sont aux prises avec l’actualité mondiale. Il y a une mutation du groupe humain aveyronnais entre les jeunes qui sont complètement en phase avec ce qui se passe dans l’actualité et des groupes plus âgés qui ont des racines dans le passé.
(ci-dessus soirée des jeunes Espalionnais de Paris fin mars 2003).

Voulez-vous dire que les jeunes Aveyronnais perdent le sens des racines ?


Il y a un paradoxe dans leurs comportements. D’une part, comme tous les jeunes Français, ils adoptent les goûts musicaux et vestimentaires de leurs époques. D’une autre côté, je suis un peu surpris par cet attachement des jeunes au “micro-local“. Il suffit de voir les fêtes de village qui continuent.
Dans ma génération, lorsqu’on était en faculté, on voulait d’abord s’émanciper vis-à-vis de ses parents et de son milieu. Aujourd’hui les jeunes reviennent en week-end dès qu’ils ont deux jours. Cette juxtaposition d’une espèce de mondialisation rampante et de ce “localisme“ des comportements qui borne certains horizons des jeunes , est paradoxale
La façon dont ils envisagent l’existence a profondément changé par rapport à la génération précédente qui voyait sa promotion sociale par le départ vers la grande ville. Aujourd’hui, les Jeunes sont peut être moins ambitieux même lorsqu’ils sont contraints de partir. (ci-dessous banquet à la fête de village de Mounès).

Quelles sont les tendances de l’économie aveyronnaise ? A commencer par l’agriculture ?
Le phénomène de concentration s’est énormément accéléré ces dernières années. L’exploitation moyenne aveyronnaise a une taille qui croît rapidement même si elle est très loin encore d’égaler ce que l’on voit ailleurs. Le sens de l’histoire va dans le sens d’une diminution du nombre d’agriculteurs même si les organisations syndicales militent pour les installations de jeunes. Il y a d’un autre côté des formes d’agriculture nouvelles qui se précisent aujourd’hui, le biologique, le développement des revenus touristiques.(ci-dessous des planteurs de tabac à Montlaur).

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Justement, derrière les discours sur le terroir l’agriculture aveyronnaise ne pratique-t-elle pas une certaine surproduction dangereuse à terme pour l’environnement si l’on prend en exemple le cas de Roquefort ?
L’agriculture aveyronnaise reste à taille humaine avec des exploitations familiales qui sont sous le contrôle d’une famille. Ces exploitations sont plus adaptables aux évolutions du marché que les grandes unités qui doivent être soumises à des normes. Tout le problème est de savoir distinguer entre les grandes exploitations et celles qui relèvent du cadre familial.
Le risque pour l’environnement est ponctuel à savoir pour les exploitations qui ne sont pas mises aux normes. Mais il y a un plan départemental de mise au normes. Au bout de quelques années, le risque sera maîtrisé.
Mais il peut y avoir un risque naturel avec le réchauffement du climat et les sécheresses qui rendront alors ces normes peu sûres.
Quant à Roquefort, la production de lait de brebis a certes tendance à augmenter. Mais il y a aussi des problèmes de marché. Malheureusement, les goûts des consommateurs ont tendance à se tourner vers des fromages beaucoup plus édulcorés. Du coup, les fromages un peu typés comme le Roquefort ont des difficultés à maintenir leurs tonnages en France. En plus, le Roquefort est un fromage cher dans la conjoncture actuelle, cela rend plus vulnérable.

Et la remise en cause de la PAC ?
C’est le gros problème des agriculteurs aveyronnais qui ont une agriculture très variée donc très sensible à une modification de la PAC qui aura un fort impact sur l’agriculture aveyronnaise. Quant à l’entrée des nouveaux membres, il faut s’attendre à une concurrence très difficile.

La désertification est-elle encore à l’ordre du jour en Aveyron ?
Les villes exercent une attraction qui s’est considérablement accélérée. Les milieux ruraux sont soumis à des effets plus ou ou moins négatifs. En matière d’emploi, le ruthénois absorbe une main d’œuvre qui vient de plus en plus loin. Il en va de même pour la distribution. Le problème pour le milieu rural est de maintenir dans les bourgs-centre un “appareil commercial“ et un “appareil de services“.Si l’on ajoute le point noir de l’Aveyron, c’est-à-dire sa démographie en baisse entre chaque recensement. Le milieu rural est le premier touché.
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Que pensez-vous des débats sur le Pays, cela a-t-il entraîné une augmentation du rejet des politiques qui n’existait pas auparavant en Aveyron ?
J’entends parler du Pays depuis 1974. C’est une représentation intellectuelle très séduisante. Je ne suis pas persuadé que les gens vont s’adapter au nouveau contexte. Donc les pays risquent de calquer simplement les évolutions et les habitudes de déplacement.
Si le Pays colle à la réalité économique, il peut être viable. S’il a une dimension politique trop marquée, il risque de ne pas être viable. Qu’on le veuille ou non, dans la géométrie des Pays, les oppositions politiques jouent de manière très importantes. Les pays sont aussi des réseaux de clientèles pour des hommes politiques qui ne sont pas les mêmes que ceux du département. Et puis il y a d’autres questions : dans ces Pays, y aura-t-il un équilibre entre les agglomérations et les bourgs.

Et le rejet du politique en France aujourd’hui, est-il aussi partagé par les Aveyronnais ?
Je ne crois pas. Il est moindre en Aveyron que dans certains milieux urbains de la France. L’histoire politique a comporté bien des aléas et bien des choses négatives. En Aveyron, nous avons eu des luttes politiques parfois des luttes physiques qui ont abouti à des procès.
Il y a aussi cette mutation institutionnelle initiée par Jean-Pierre Raffarin qui tend à donner plus d’importance aux régions. Ne va-t-elle pas diluer l’identité aveyronnaise ?
On a parlé de régionalisation sous divers régimes politiques. Le département est une institution qui a plusieurs siècles d’existence. Il a fait pénétrer la démocratie au niveau concret dans les communes. Il a institué la République au niveau local. Le département demeure une entité qu’il paraît difficile de faire exploser. Pour l’Aveyron spécifiquement, du fait de la polarisation et des habitudes de vie, ce département a ses chances de conserver une certaine identité dans l’esprit des gens. (aire de Séverac sur l’A75).
Cela n’empêchera, une fois les voies de communication à quatre voies établies, les Aveyronnais d’être attirés par les grandes villes proches. Le Millavois ira vers Montpellier, le Ségala ou le Ruthénois iront vers Toulouse. On ne peut pas à la fois vouloir une intégration rapide au territoire national, le passage des touristes et du fret, et refuser que ces attractions s’exercent.

Sur ce point, quelles cartes peut jouer l’Aveyron ?
L’espace est un atout incontestable. Il est un support touristique. Il suffit de savoir faire la promotion du département pour développer le tourisme. La liaison avec Londres va dans ce sens.

Justement l’arrivée des Anglais ne risque-t-elle pas de créer une envolée des prix de l’immobilier et de pousser les jeunes à l’exode ?
Quand on parle du tourisme en milieu rural, tout est beau, consensuel. Il faut savoir ce que l’on veut. Veut-on limiter les revenus du tourisme à un certain niveau ou veut-on augmenter la richesse du département et accepter une certain nombre de conséquences ?
Je ne suis pas sûr que les jeunes vont partir. Car dans les régions touristiques françaises les jeunes sont plutôt bénéficiaires du développement touristique.

Mais le tourisme ne suffit pas ?
Non, l’Aveyron a aussi besoin d’emplois industriels et artisanaux. Il faut développer l’emploi artisanal et industriel. Attendre l’installation d’entreprises extérieures c’est bien, mais il y a la nécessité de développer l’artisanat local pour le faire passer au stade de la petite industrie. La génération des années 60-70-80 avait bien réussi cela par exemple dans le meuble. Le problème est de savoir si l’on pourra répéter ce mouvement. Il faut un esprit d’entreprise et de création chez les nouvelles générations. Un des grands aspects de la formation des jeunes devrait être de susciter l’esprit d’entreprise.

Vous avez écrit une thèse sur les Aveyronnais de Paris dans les années 70, depuis les choses ont-elles beaucoup changé dans ce milieu ?
Il y a eu de très gros changements. Dans les années 80, on en était encore à ce qui s’était passé dans les siècles précédents. Les Aveyronnais de Paris étaient limonadiers de père en fils, c’était le système familial. On prenait les employés dans la famille, le voisinage. Les capitaux restaient confinés à ce milieu avec le système des tontines et les vendeurs de bières qui prêtaient de l’argent. Même si cela existe encore, les structures financières ont complètement changé. Pour les grosses affaires, les banques sont omniprésentes.
Beaucoup de ces petits établissements ont disparu avec l’envolée des prix de l’immobilier, repris par des marchands de textile ou des Mac Do. De plus la valeur des fonds de commerce traditionnels a quand même baissé par rapport aux années 90-91. Voilà un monde en pleine mutation sous les coups de boutoirs extérieurs. Les affaires comme celles des Costes sont plutôt exceptionnelles. Des personnages qui avaient réussi à construire des groupes avec cinq ou six affaires dans les années 80 sont aujourd’hui en position difficile. Ils se sont laissés absorber par de très grosses affaires. La tendance de fond, c’est bien le dépassement de ce milieu familial au profit de structures financières et industrielles.