Qui ne connaît Jules Soulié à Paris ? Voilà un pivot de la communauté parisienne aveyronnaise depuis un demi-siècle. Son dynamisme ravageur a plus fait que n’importe qui pour souder des générations entières de jeunes Aveyronnais montées du pays. Quand dans le même temps, bien des petites Bretonnes, arrivées en gare Montparnasse, (voir l’histoire de la Tête d’Or) se laissaient mettre sur le trottoir par un souteneur après deux jours de folies, le père Soulié, encadrait dans l’amitié des jeunes Aveyronnais paumées dans la grande ville dès leur arrivée à Austerlitz. A coup, de réunions improvisées dans les cafés, il recréait le lien entre des jeunes rouergats avides de solidarité. Il est à l’origine de la construction du foyer de la Cité des Fleurs, le premier foyer mixte de l’époque, bien avant 68. Il a célébré des centaines de mariages de ces jeunes qui se sont rencontrés souvent grâce à lui. Mariages qui affichent un taux minime de divorces, ce qui n’est pas la moindre de ses fiertés. Sa mémoire est phénoménale elle lui permet de se souvenir des milliers de prénoms, de frères et de pères. A 87 ans, -on lui en donne 10 de moins -, son statut de retraité ne lui va pas, il continue de s’agiter. Sa célébrité n’est pas imméritée tant la flamme de la jeunesse continue de brûler dans son cœur.
Un prêtre rouergat marqué par le XXème siècle
L’itinéraire de Jules Soulié, diffère de celui de bien des prêtres Rouergats. Il n’est pas issu d’une grande fratrie paysanne mais d’une famille d’urbains millavois. «Jamais mes parents ne m’ont poussé dans les bras de la religion. J’étais à la laïque à Millau. C’est la vision du dévouement des prêtres qui m’a poussé dès 12 ans dans cette voie. Je n’ai jamais dévié, je suis plutôt du genre entêté. »
A l’écouter on comprend mieux pourquoi le clergé Aveyronnais, avant la guerre de 40- attirait autant de vocations. Selon l’abbé Soulié, il y avait encore en 1939, 250 séminaristes à Rodez (un chiffre à comparer à la trentaine de séminaristes d’aujourd’hui réunis sur 7 départements). Tous ces hommes d’église avaient été marqués par les lois Combes sur la séparation de l’église et de l’Etat. En 1904, la troupe avait enfoncé les portes des séminaristes de Rodez pour les exclure. «A la guerre de 14, les curés ont répondu présent pour prouver leur patriotisme. » Sa foi, le père Soulié, a dû l’affirmer dans les chambrées pendant ses cinq ans de service militaire, des Alpes à la Corse. Durant l’occupation, vicaire à la cathédrale de Rodez, il eut droit à la visite de la gestapo. Sans être résistant actif, il distribuait les cahiers de Témoignage Chrétien. «Au confessionnal, il fallait faire attention, il y avait des types qui tendaient des pièges en affirmant qu’ils étaient résistants. » Sans parler du pire, le jour où il est allé reconnaître les morts après le massacre de Sainte-Radegonde.
Un prêtre anti-conservateur.
«Moi je suis de la génération Evangile.» La messe en latin, les neuvaines, le formalisme à tout crin, ou encore le clergé allié des notables et anesthésiant le peuple dans la crainte de Dieu, cela n’a jamais fait parti des pratiques et de l’idéologie du père Soulié». Jules est un pur produit des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes d’après guerre.
«On m’a envoyé en 1955 renforcer la structure d’accueil mise en place par l’abbé Carbonnel quatre ans plus tôt. Tout de suite on a vu que ça marchait, le nombre de jeunes qui se rendaient à nos rendez-vous ne cessait de grossir.» 1955, c’est l’année où le Cantou, ainsi que s’appelle l’association d’éducation acquiert un pavillon dans le 17 ème arrondissement, dans la Cité des Fleurs. On y loge des aumôniers, on y dépanne des jeunes avec un petit dortoir. Mais l’endroit est exigu au regard des ambitions et des besoins. On acquiert alors deux immeubles mitoyens».
En 1964 débute la construction d’un nouveau foyer plus vaste. Inauguré en 1966, le foyer des Jeunes travailleurs de la Cité des Fleurs a hébergé, depuis selon l’abbé Soulié, près de 10 000 résidents dont 5000 jeunes Aveyronnais, puisqu’il accueille également des jeunes Cantalous et Lozériens. Dans l’édification de ce foyer, le père Soulié ne compta pas pour rien. «On a endossé beaucoup de responsabilités financières pour construire le foyer. Nombreux furent ceux qui nous mirent en garde contre les complexités administratives et financières d’un tel projet qui, à leurs yeux, nous dépassait. Aujourd’hui, ce sont parfois les mêmes qui disent que c’est grâce à eux que le foyer existe. »
Cette aumônerie aveyronnaise, parfois baptisée paroisse a dû batailler pour s’implanter. «Ce terme paroisse posait problème, les gens voulaient qu’on s’occupe des baptêmes du catéchisme, etc…or nous n’étions pas là pour ça. Notre but c’était d’abord de venir en aide aux jeunes de les aider à trouver un logement, un boulot et surtout de leur apporter de l’amitié. » raconte le père Soulié. Car il faut le dire clergé parisien avait froncé les sourcils devant l’arrivée de cette mission Aveyronnaise . Aujourd’hui, le foyer est géré par des laïques.
Un organisateur et un rassembleur qui prêche pour une révision de l’amicalisme
Chaque été, le père Soulié de retour au Pays, mariait et bénissait à tour de bras. Mais – à l’entendre-, son charisme n’a pas réussi à faire taire toutes les divisions, ni à mettre un bémol au sectarisme de certains rouergats parisiens et aux querelles de clochers. Il en parle à mi-mots, du bout des lèvres comme d’une cicatrice mal refermée. Mais le fait de retrouver tous ses jeunes qu’il a connu, installés dans une vie d’hommes heureux, lui apporte à chaque fois la joie. Quant à l’amicalisme, pour lui il ne se limite pas aux banquets, même s’il y a pris la parole des dizaines de fois pour plaider la bonne cause. (ci-contre sur la porte de son deux-pièces, le clocher de Rodez, mieux qu’une carte de visite).
« L’amicalisme de 1935 ou 1955 n’est plus adapté au monde de maintenant. L’amicalisme a besoin d’être repensé et révisé. Tous les jeunes que je rencontre ne sont plus intéressés par cette façon de faire. Aujourd’hui, même s’il n’en dit mot, le fait qu’il n’y ait plus un père à temps complet pour s’occuper des jeunes Aveyronnais du foyer ne doit pas le ravir». Mais il ne résout pas à l’inaction. Alors dans sa paroisse de la rue de Tocqueville dans le 17 ème, il s’active, a-t-on besoin de lui à la sacristie ? ou pour confesser les ouailles ? Faut-il voir un malade ? Jules Soulié, est si actif qu’on pourrait le croire ubiquiste.