Voici l’histoire d’un Aveyronnais de Paris qui durant des dizaines d’années a enchanté nos rues. En œuvrant pour Bic, la SNCF ou Monsavon, et tant d’autres, il a gravé dans notre imaginaire des gags visuels et des images d’une légèreté et d’une gaieté rarement égalées aujourd’hui. Raymond Savignac est le dernier d’une lignée de graphistes français, tels que Colin et Cassandre, qui tutoyaient l’art tout en s’adressant au commun des mortels…
C’est un fils d’Aveyronnais de Villefranche-de-Rouergue monté à Paris à la Belle Epoque faire bistrot. Aujourd’hui, il vit à Trouville-sur-Mer (Calvados) dont il est devenu, en dépit d’Eugène Boudin, des impressionnistes et de Marguerite Duras, le citoyen le plus illustre. A preuve, ses fameuses mouettes sont devenues la signature visuelle de la station normande et charmante.
Savignac partage sa vie entre son atelier et Marcelle, son épouse depuis soixante ans. A 5 ans des cent ans, il continue d’œuvrer à des affiches pour des grandes marques d’alcool, des grands millésimes ou des restaurants. Avec la même fraîcheur et le même doute, ce jeune homme continue à rechercher la bonne ligne, l’ellipse pure, la légèreté hors de tout cliché. Sa méthode, il la résume lui-même : «le tout et rien d’autre. » Lui qui a su fait preuve des plus grandes audaces publicitaires, peste à tout va contre le conformisme de pensée de nos contemporains qui s’exprime notamment dans les publicités actuelles.
Les Bistrots paternels, lieux de toutes les inspirations…
Son père, un “péquenot“des environs de Villefranche, comme il le souligne lui-même, avait eu le talent de séduire une jeune fille de la petite bourgeoisie de la bastide. La belle-famille ne digéra pas cette mésalliance et décréta le bannissement des tourtereaux. D’où la montée à la capitale comme des milliers d’autres Rouergats pour faire bistrot. Savignac père jeta son dévolu sur un petit bistrot ouvrier de la rue Glacière. Et Madame mis au monde en 1907, un petit Raymond.
L’enfant grandit sur le pavé de Paris. «A l’époque, les marchands de bière faisaient leurs publicités en affichant leurs noms sur des percherons formidables qui sillonnaient les rues. » Il y avait aussi l’ambiance de l’endroit où sa mère mitonnait des plats du pays, tandis que son père servait en salle aidé d’un garçon.
«On y mangeait pour dix-neuf sous le midi, on servait même des demi-portions. Pour le petit garçon que j’étais, le bistrot était un excellent lieu d’observation.» Raymond va emmagasiner des visuels qu’il utilisera plus tard pour réaliser ses merveilleuses affiches. «A chaque fois que le bec de canne (la poignée) s’abaissait on se demandait qui allait bien pouvoir rentrer… »
Et quel défilé de trombines ! « J’en ai vu des pochetrons marqués par la “verte“, l’absinthe. D’autres qui chassaient la gueule de bois du matin au “blanc gommé“ (blanc avec du citron). Tout cela était très “bruandesque“ (néologisme tiré d’Aristide Bruand, NDLR). Certains habitués ne cessaient de me fasciner comme ce coureur cycliste, il avait une façon superbe de descendre de son vélo, l’élégance même. »
La découverte de la vie de province à Villefranche-de-Rouergue
«Dans les derniers mois de la guerre de 14-18, ma mère n’en pouvait plus des alertes, elle est retournée à Villefranche-de-Rouergue travailler dans la confection. C’est là que j’ai découvert le charme de la vie de Province où le temps s’écoule tranquillement avec ses rites. C’est ce que j’ai recherché bien plus tard en m’installant à Trouville-sur-Mer. Mais je ne l’ai plus retrouvé car les provinciaux étaient également devenus aussi frénétiques que les Parisiens». En revanche c’est peut-être à Villefranche que Raymond trouvera la silhouette de sa jolie vache Monsavon.
Paris, la source de ses frivolités…
«Mes vraies années de bonheur, celles de mon adolescence où je me suis vraiment épanoui, je les ai vécues rue des Petits Carreaux (métro Bourse) en plein Sentier où mes parents avaient repris une affaire. C’était un quartier terriblement vivant plein de chapeliers, il y avait aussi toutes les imprimeries des grands journaux. J’ai appris à fumer, à jouer au billard dans le tabac familial et plein d’autres choses qui ne servaient à rien mais qui m’ont donné goût à la frivolité. Et ça m’allait très bien… »
Raymond ne se battait pas pour aider ses parents dans le bistrot. «De temps à autre, mon père arrivait à me faire laver les verres. » D’ailleurs tenir un bistrot n’a jamais été sa vocation : «Les bistrots sont formidables lorsque c’est Audiard qui les fait parler, mais dans la vie courante, les habitués sont plutôt des gros balourds qui répètent inlassablement les mêmes choses et qu’il faut se farcir. » Raymond a toujours préféré être du côté des consommateurs. «Moi j’ai été très Saint-Germain des Près, Deux-Magots, Lipp, avec Marcellin Cazes qui était un type extraordinaire. Il n’avait pas un tiroir-caisse à la place du cœur. »
L’artiste de Maria Grimal et le génie des affiches
En bon Aveyronnais, Raymond Savignac est toujours resté un artisan acharné au travail.
Le genre à toujours remettre son ouvrage sur la table. Sans jamais se prendre au sérieux. Des patrons, il en a eu, mais ce fut un indépendant de nature.
Dans son parcours, les rencontres comptèrent beaucoup. A commencer par celle du grand affichiste des années trente, Cassandre. A l’époque, le maître s’était vu commander simultanément deux affiches pour deux Roquefort : Société et Maria Grimal. Cette dernière a été depuis absorbée par la première.
Cassandre confia alors la réalisation de la seconde à Savignac.
C’est après la seconde guerre mondiale que le talent et la renommée de Savignac vont exploser avec Monsavon. «Un coup heureux ! ensuite cela n’a pas arrêté. Je suis devenu indépendant, même si cela n’a pas été facile tous les jours. Ce que j’aime dans ce métier c’est sa diversité et aussi le côté fugitif d’une affiche prévu pour durer trois semaines. Même si, dans notre cœur, on espère que cela durera éternellement. Et c’est cette motivation qu’il faut garder perpétuellement».
On notera également ce petit clin d’œil du destin dans la commande de l’affiche pour le centenaire de Toulouse-Lautrec. Le peintre du Moulin Rouge qui passait ses vacances au château du Bosc en Aveyron avait lui aussi été un grand affichiste.
Un manifeste vivant contre le conformisme !
«L’important n’est d’écouter que sa façon de penser. C’est tout le contraire que l’on fait aujourd’hui dans la publicité, où grâce aux études de marché, on donne au client que ce qu’il attend alors qu’il faut le secouer. Il faut toujours faire autre-chose que le cirage de pompe, j’ai appris ça avec l’affiche Aspro qui est tout le contraire d’une publicité. Elle ne montre aucune solution, mais met en scène un vrai problème. Mais voilà aujourd’hui nous sommes enrégimentés jusqu’à l’os. Rien n’est nouveau, rien ne secoue. Il faut faire preuve d’une impossibilité de s’adapter de se conformer aux règles. Nos plus grands acteurs ont cultivé leurs défauts. Prenez Michel Simon et sa bouillie infâme dont sortait des sons purs. »
Ses préceptes ne sont pas des vains mots. Raymond continue à les appliquer journellement dans ses créations (comme ici dans son atelier où il compose une affiche pour le cognac Hennessy)
Grâce à lui, la vue se truffe de gags visuels. Comme ici à Trouville-sur-Mer, à qui il a su donner, avec ses mouettes emblématiques, une signature visuelle éternelle. On pourra admirer son œuvre en déambulant cet été sur les planches de la station normande .
A observer son œuvre, son côté surréaliste, on en vient à penser que la différence entre un Dali et Savignac réside plus dans le statut social de l’œuvre qu’autre chose. Seul change dans le cas de Savignac la volonté d’allier les contraires tout en créant dans un but commercial mais officiellement proclamé comme tel. Mais que l’on soit Savignac ou Andy Warhol, au final un même résultat. Une image à jamais gravée dans nos mémoires qui marque une époque tout en lui survivant.