« On ne peut pas se contenter d’être une belle terre de tradition. » Dommage que la conférence de Dominique Reynié, organisée en avril par la Fédération des Amicales, ait attirée si peu de monde. A défaut d’être optimiste, le tableau dressé par le politologue d’origine ruthénoise aux lendemains des Régionales de mars 2010 ne manque pas d’interpeller sur l’avenir de l’Aveyron.
Extraits de l’intervention.
«Au lendemain de ces élections, je n’ai pu m’empêcher de songer à mon père qui me disait : « Quand Rodez sera à gauche, les poules auront des dents… » Il y a donc eu une sacrée évolution. Que l’Aveyron soit passé entièrement à gauche est proprement incroyable ! Le département a voté à gauche au 2ème tour à près de 61% – même pourcentage qu’en Midi-Pyrénées- alors qu’aux précédentes élections régionales de 2004, l’Aveyron votait à gauche à plus de 50%.
Un raz-de-marée ?
»Je ne suis pas en mesure de distinguer une singularité aveyronnaise, le mot qui me manque, c’est celui qui exprimerait le contraire d’un raz-de-marée. La gauche a gagné. Mais les électeurs sont restés chez eux, en plus grand nombre quand ils étaient de droite que quand ils étaient de gauche. Ainsi, le PS a eu moins d’électeurs en 2010 qu’en 2004 alors que la population a augmenté. »
L’Aveyron était plutôt une terre catholique, paysanne, proeuropéenne qui participait aux élections. Le premier département proeuropéen …votant oui à Maastricht et à la constitution européenne.
En 2004, au premier tour des régionales, l’abstention aveyronnaise était de 27% contre 44 % pour le reste de la France. »
Quelles en sont les causes ?
“Bien des électeurs aveyronnais ont pu être désarçonnés par les façons de faire de la majorité présidentielle, les ressentir comme un choc culturel.
Si l’on proclame que le travail est une valeur sacrée, on ne peut pas avoir un cas comme l’Epad de la Défense (la question de la nomination du fils Sarkozy à sa présidence -NDLR), sans oublier les ravages de l’affaire Polanski… Tout cela a pu être vécu comme une suite de petites déchirures qui brouillent les valeurs qui fondent l’engagement politique minimal…
A quoi sert alors un débat sur l’identité nationale ? »
« Encore heureux que les électeurs soient restés chez eux… Car il ne faut pas croire à la fin du FN. Au contraire, il a tout pour lui. Et il sera difficile pour la droite française de résister à la tentation de l’alliance. Le profil de Marine Le Pen est un modèle en expansion en Europe. Comme en Grande-Bretagne ou le British National Party (BNP) recueille 10% des suffrages. Et cela pourrait concerner notre cher département.
Car l’Aveyron présente de sacrés handicaps :
-C’est une terre enclavée et, sur ce point, je suis très inquiet quand j’imagine l’évolution des prix du pétrole. Alors que le train ne dessert plus l’Aveyron comme avant et que l’avion reste hors de prix.
-Quant à l’économie aveyronnaise, sa tradition industrielle a tendance à se réduire comme son économie rurale. Sur le tertiaire -les services comme le tourisme- on cherche les ressorts avec difficulté. »
« On ne peut pas se contenter d’être une belle terre de tradition. Pour que les traditions vivent, il faut trouver les ressorts de la prospérité. Or l’Aveyron rural est impacté par l’évolution de l’agriculture européenne.
Face à notre endettement colossal, inévitablement, la solution va s’esquisser d’un désengagement de l’Etat. Et tous les territoires à structure rurale qui comptent sur la capillarité des services administratifs seront concernés.
En réalité une bonne partie des Français n’ont pas encore senti la crise. Nous n’éviterons pas les querelles sur le rôle du Conseil général et de sa fiscalité. Le chemin est tracé, les préfets vont devoir gérer de 20 à 40 des départements français qui seront en faillite.
L’Aveyron devra trouver le moyen de s’insérer dans la globalité. Ce qui impose d’être à la fois prudent et téméraire.
« Ainsi, je suis malheureux et inquiet sur l’arrêt de la recherche sur les OGM. C’était un des 4 ou 5 domaines de technologies comme le TGV où la France avait une position de leader. Mais un Aveyronnais célèbre a réussi à interrompre la recherche en ce domaine… Les nanotechnologies subiront-elles le même sort ? Or il faut aller vers l’innovation pour avoir un futur.
Notre élan vient des anciens qui ont produit un patrimoine considérable qui fait que l’on se sent fort.
Or, je vois des pistes, mais je ne suis pas sûr qu’on va les prendre. On va plutôt s’orienter vers une forme d’endormissement pendant des décennies pour certaines zones du territoire.
Dans les années qui viennent on peut imaginer une France morcelée mais il est difficile d’imaginer si l’Aveyron sera dans la partie en croissance.
J’ai tendance à penser que ce vote à gauche de l’Aveyron traduit cette inquiétude. Après tout, la gauche a un message plus porté vers une promesse de solidarité plus affirmée que la droite. Cette idée de redistribution a donc pu peser très fortement sur ces dernières élections. »
Les défauts du quinquennat
« J’ai voté non au référendum sur le quinquennat présidentiel. Car avec lui on ne sort plus de l’élection présidentielle et cette obsession devient une maladie nationale… Et surtout il avive le souvenir de l’expérience précédente. Ainsi, si en 2012, les Français sont déçus par la gauche, ils n’auront pas eu le temps d’oublier les échecs de la droite. »