Nature

Jean Rouquet : Retour à Montifret


montifretAprès la “Jasse d’Armand“, Jean Rouquet poursuit son introspection avec “Retour à Montifret“, qui est le nom de sa maison. Il y parle de sa vie, de sa carrière qui l’a conduit de l’industrie chimique à la direction générale de Roquefort Société.

On y sent bien le destin volontaire d’un Aveyronnais qui n’a jamais eu d’autre souhait que de vivre au milieu des siens, dans le village de ses ancêtres, près de la nature.
Ce livre écrit dans une belle langue plaira à tous ceux qui aiment la nature, la chasse à la bécasse avec de beaux chiens d’arrêt. C’est aussi un hymne aux ruisseaux d’argent où frayent à la fin de l’hiver de véritables farios et autres arcs-en-ciel qu’il faut aller débusquer loin de la “civilisation“.
Et justement, quand il parle de nature, le père Rouquet, qui l’a pratiquée toute sa vie ne fait pas dans l’angélisme. Ainsi plane-t-il dans son “Retour à Montifret“, une angoisse teintée d’amertume. Car si Jean Rouquet  évoque longuement les siens, mais aussi les nombreux chiens qui ont accompagné son existence, il ne parle quasiment pas de l’Aveyron d’aujourd’hui. Ou alors c’est pour déplorer les rivières gavées de pesticides et devenues des “succursales de piscicultures », ou encore la menace d’un gigantesque parc éolien qui plane sur ses paysages chéris et qui donne le point final de son livre comme un coup de grâce.

interview de Jean Rouquet réalisée le 25 janvier 2008
« Ce pays risque de perdre son âme ! »

Vous parlez peu du monde actuel, de vos contemporains, comme s’il planait une certaine amertume dans votre livre ?

Il n’y a pas d’amertume mais je suis loin des options du monde moderne, j’ai fait mon temps, donné le meilleur de moi-même que ce soit à Roquefort ou à la fédération des chasseurs. 
J’essaye d’être en contact approfondi avec la nature, de la faire aimer. La vie n’est pas faite que de choses rationnelles. Il n’empêche c’est une grave erreur de conduire les rivières comme on les conduit, et je pense qu’il se fait des choses peu convenables dans l’agriculture. Je ne jette pas la pierre aux agriculteurs dont beaucoup sont mes amis mais vouloir faire de l’agriculture de plaine en montagne comme cela se pratique dans mon pays est un non sens.

Ce système d’agriculture productiviste, n’y avez-vous pas contribué lorsque vous étiez directeur général de Roquefort Société à une époque où la production de lait de brebis Lacaune a été multipliée par trois ?


Tout comme j’ai été opposé à l’ensilage, je n’ai jamais été pour ce système mais roquefort est un système confédéral et c’est la confédération qui l’emporte. Ce fut une erreur incontestable de produire trop de lait. Payer les excédents a contribué à créer un système productiviste à outrance.

Vous défendez le principe de AOC, quel regard portez-vous sur la stratégie de Lactalis  (N°2 mondial de l’industrie laitière maison mère de Roquefort Société), qui, après avoir lancé un bleu persillé pasteurisé sous la marque Lou Perac- s’apprête à reprendre sous marque Société le fameux Bleu des Causses, persillé au lait de vache, au risque de banaliser le roquefort ?


Entreprendre des actions de marketing qui peuvent porter atteinte à ce qui a fait vivre le pays, je ne suis pas pour. Moi je ne l’aurais jamais fait. Plus généralement, à partir du moment où un produit AOC se met à montrer son derrière pour  se vendre, il y a un risque de dérive. C’est exactement la même chose pour les vins AOC, qui éprouvent le besoin d’indiquer leur cépage.
  
Finalement, avec ce livre, vous tirez une sonnette d’alarme ?


Nous avons la chance fabuleuse de vivre dans un pays qui a été préservé dans un cadre exceptionnel. Mais, cette chance on ne sait pas la saisir. A force d’être dominé par la cupidité et l’ignorance, ce pays risque de perdre son âme.

“Retour à Montifret“
est en vente dans toutes les bonnes librairies.
Les Editions Persée
 15€
Adresse des 
Editions Persée :

8 place Victor Hugo
83310 Cogolin.
Tel. : 04 94 17 29 80
Fax : 04 94 17 32 80
On peut commander en envoyant un chèque correspondant au nombre d’exemplaires souhaité (le prix à l’unité est 15 €) + 2 Euros de frais de port.

Jean Rouquet : Retour à Montifret
(Morceaux choisis sur les rivières).

«Au fil des années, des subventions ubuesques ont propulsé des pelles mécaniques dans des lits millénaires. «Oh le beau canal que vous avez creusé, ça coule bien! » La ligne droite fascine, les sots s’émerveillent et les amoureux du monde sauvage pleurent. Désormais cette mode est obsolète, c’est respect, on n’y touche plus, oubliant par exemple, que les gouffres des chaussées étaient régulièrement dragués par nos pères, on n’allait pas ailleurs chercher sables et graviers. Je crois aussi que la mise à nu des berges n’est pas une bonne chose, les truites, comme les militaires se camouflent à l’ombre et il est évident que le soleil chauffe l’eau. Pourtant il serait si facile d’établir un diagnostic du malade, à condition d’éliminer préjugés et tabous…

Le désamour de la rivière de mes ancêtres et de mon enfance m’a poussé à franchir des collines, j’ai découvert, dans des gorges étroites, des eaux claires bondissant sur des roches bleues, des gravières bien nettes en amont de gouffres obscurs aux reflets argentés. Loin des routes et des chemins, j’ai buté sur des chaussées immenses, des cascades infranchissables. Après bien des tâtonnements, j’ai opté pour une canne rustique de type pyrénéen, à fil intérieur, avec rallonge télescopique. Je privilégie les appâts naturels, lombrics, vers de terreau, porte-bois, sauterelles, parfois aussi en début de saison je manie le vairon. Je visite deux ou trois fois mes parcours, en commençant, début mai, par le plus sauvage qui est aussi le plus escarpé. Je gare ma voiture tout en haut de la colline et dans le jour naissant je rejoins la rivière à travers un champ à l’herbe déjà haute, puis un bois de chênes encombré de ronces et de houx. Le chant des rossignols m’accompagne jusqu’à un petit pré, chez nous ils sont muets depuis plusieurs années. Mes pas tracent un sillon dans l’herbe alourdie de rosée, je m’émerveille de cette solitude d’arbres, d’eau et de rochers. De légères brumes se prélassent sur les calmes.

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Au premier rayon de soleil, les rossignols se taisent, le vairon scintille dans l’écume puis disparaît sous un rocher, la première attaque est brutale, la truite ne m’échappera pas, je la conduis sur une petite plage de sable, belle pièce d’une demi-livre. Je continue ainsi dans les landes et les rapides, des tonnelles mordillent et détruisent l’appât, il me tarde de déboucher dans le gouffre profond qui recueille une petite chute. Là, en pleine eau, c’est le choc puissant suivi d’une fuite désordonnée d’une violence rare que je contiens de mon mieux par une tension progressive. J’aperçois enfin le monstre et son ventre doré, mon coeur va éclater, je cherche un endroit favorable pour l’échouer, un instant je rends du fil, faute impardonnable.. .je suis humilié, la ligne dérive dans le courant vide.

riviereJ’avouerai ma maladresse à Bruno, j’estime le poids de la belle furtive â plus deux livres que sans trop exagérer j’arrondirai à trois, comme celui de la fario qu’il a ferrée à la mouche dans une chaussée du Dourdou : mille quatre cent quatre-vingt-dix grammes, pesée devant témoins… Personne ne me contredira.
Du courant qui précède la chute.je sors la jumelle de la première prise. Le soleil est déjà haut, je suis satisfait de ma pêche, je terminerai dans le chaos de rochers qui soutient les prairies. Mon ver de terreau tentera une dernière truite, â l’affût entre deux pierres. Je souille et je transpire en grimpant les pentes abruptes pour rejoindre la route. Je fais de temps en temps une courte pause, je me souviens de ma première sortie, ici même, l’an dernier, par eau un peu plus forte après un orage de mai cinq belles prises pour une vingtaine d’attaques. Aujourd’hui la rivière était maigre, je reviendrai après la pluie. Je supplie les génies des gouffres et des cascades de m’émerveiller ainsi, longtemps encore si possible.
La grande rivière du pays m’offre deux parcours moins pénibles et quelquefois de belles pièces. Jusqu’en juillet, l’eau y est si claire que je dois fixer mes appâts à un nylon arachnéen qui très souvent se casse, usé par les galets. Je quitte la maison dans le vacarme matinal des milliers d’oiseaux de la vallée qui m’offrent un concert dissonant de pépiements et de piailleries jacassantes, avec comme soliste un coucou à la partition répétitive. J’aime commencer ma pêche sous un grand pont où des centaines de chauves-
souris, attardées dans la pénombre mourante, caressent la rivière embrumée de moucherons et d’insectes nocturnes. Parfois aussi je me hasarde dans les vallons des hautes collines jusqu’à la source d’un ruisseau. Ici la pèche, par moments, se mue en escalade, les truites sont vives et farouches, leur robe est si brillante qu’on la dirait vernie.