Histoire et culture

La Libération de Paris vue par le Docteur Gondal

Samedi 19 août 44 : Les Allemands quittent l’hôtel Lutétia.
Dans la soirée de mercredi à jeudi un fait tangible pour nous était la grande animation qui régnait à l’hôtel Lutétia (L’hôtel était le siège de l’Abwehr, service de renseignements et de contre-espionnage allemand-NDLR).. Toutes les fenêtres illuminées dénotaient une présence active au début de la nuit avec de très nombreuses voitures chargées de valises dans les environs immédiats sur le boulevard Raspail et vers le coin de la rue du Cherche-Midi. …

Le lendemain matin je vis en passant le portier de l’hôtel en uniforme de concierge français fermant la porte de l’établissement vide présentant sur le trottoir des débris et des amas de papiers brûlés. Ils étaient bien partis. …

Les rubans tricolores s’arrachent
Les drapeaux français avaient été hissés sur les mairies, l’hôtel de Ville, la Banque de France. On voyait encore la croix gammée au ministère de la Marine, au Sénat. La dissidence ou plutôt la FFI semblait se révéler car on annonçait quelques combats en particulier dans la périphérie à Pantin, Porte de la Chapelle, etc. …

..les gens se battaient au rayon de passementerie à la Samaritaine pour acheter des rubans de décoration tricolores. Dans la rue de Rivoli sous les arcades, j’ai vu un camelot, est-ce le premier ? – qui vendait des décorations.

Des échanges de tirs sporadiques
Cependant, nous n’étions pas encore tout à fait libérés. Pour ne parler que de notre quartier, le poste allemand qui occupe le bâtiment de l’artillerie place St Thomas d’Aquin est toujours là et il nous l’a bien manifesté cet après-midi par des fusillades, mitraillades et grenades très fréquentes, montrant ainsi une certaine nervosité. Car il y avait très peu de monde dans les rues suivant les conseils donnés. J’ai eu cependant à ma surprise 4 clients à ma consultation.
Il paraît que des patrouilles tirent ainsi un peu partout vers le Châtelet, le bd St Michel, plus par peur. La FFI a du se manifester en plusieurs points d’une manière qui me paraît assez intempestive et inutile pour ne pas dire dangereuse car il est bien certain que les occupants ont quitté et continuent à quitter Paris sans trop de dommages. Il reste seulement quelques uniformes par ci par là mais trop insignifiants pour faire craindre des batailles contre les Américains. (..)
Il faut noter l’absence ces jours-ci de tout agent de police en tenue depuis 9 jours. Ils font la grève ainsi que les postiers, bureaux de postes, cheminots et d’autres administrations.

A signaler également un aspect particulier dû à la fermeture du métro depuis 5 à 6 jours. Le matin et le soir on voit des défilés très denses et hâtifs de piétons et de cyclistes allant presque tous dans le même sens pour se rendre ou revenir de leur travail. Cela évoque des trajets de fourmilières dans certains chemins creux. (…)
Dès l’arrivée du courant chacun ferme ses volets et tourne les boutons de la TSF pour écouter les nouvelles anglaises de préférence. D’ailleurs depuis 3 jours, Radio Paris et Vichy sont morts.
Le ravitaillement est réduit au plus juste. Les boulangeries seules présentent des queues très prolongées. On touche encore des rations de pain un peu parcimonieuses mais presque normales.
Dans les autres commerces, d’alimentation, il n’y a pas de queue et pour cause …
(…)Tout le long du boulevard St Germain et de la place de la Concorde jusqu’à la Madeleine, de longues séries de camions et de voitures de tous modèles prenaient la direction de l’est et du nord, tous abondamment décorés de branchages verts à la mode depuis quelques semaines. Ce n’était pas des lauriers mais des camouflages contre les avions de bombardements. Les curieux n’étaient pas en grande foule mais assez nombreux pour leur dire encore tout bas un adieu ironique et satisfait.