Extrait du Livre consacré au contre-révolutionnaire, Marc-Antoine Charrier, chef des chouans d’Aubrac et du Gévaudan.
«Depuis que Tristan d’Estaing sauva la vie de Philippe-Auguste à Bouvines, sa famille, l’une des plus anciennes du Rouergue, porta sur ses armes les fleurs de lys, scellant ainsi l’alliance symbolique du trône et du pays rouergat que la Révolution eut le plus grand mal à rompre: comme charbonnier est maître chez soi, le paysan est roi en son pré carré.
Le 17 juillet 1793, MarcAntoine Charrier, extrait de la Tour de l’évêché, à Rodez, où il avait été retenu prisonnier pendant quarante jours, sans que les patriotes se doutassent, les pauvres, que la Providence les menait par le bout de la pique car ces quarante jours de réclusion correspondaient aux quarante ans des règnes de SaUl, David et Salomon, aux quarante jours du déluge, aux quarante jours que le Christ passa dans le désert et aux quarante jours qui séparent Sa Résurrection de l’Ascension, le 17 juillet 1793, donc, MarcAntoine Charrier, «le grand blond aux yeux bleus », dit Henri Pourrat, chef de l’Armée chrétienne du Midi, fut guillotiné bien entendu place de la Liberté, à l’âge de trente-huit ans.
Notaire à Nasbinals, sur le plateau d’Aubrac, aux confins du Gévaudan et du Rouergue, l’« infâme » et le « traître » Charrier, ancien député du Gévaudan aux EtatsGénéraux de 1789, ami du comte d’Artois qui lui confia le commandement des deux provinces, avait pris la tête d’une bande de « brigands fanatiques et superstitieux» que révoltaient les persécutions religieuses organisées par les dévots de la Raison. Malgré les consignes des princes en exil, Charrier ne put retenir des troupes lasses d’attendre. Revêtu de l’uniforme aux couleurs royales et aux boutons fleurdelisés, cocarde blanche au chapeau, il s’empara de Rieutort, de Marvejols, de Mende et de Chanac, où les populations l’accueillirent dans l’allégresse, à grandes volées de cloches. Informé par le vicaire de Recoules d’Aubrac qu’une puissante armée républicaine s’apprêtait à déferler sur la Lozère et l’Aveyron, sans espoir de renforts, Charrier fut contraint de licencier ses chouans, qui se dispersèrent sur la Montagne. Pendant trois jours, nouveau Jonas, figure prédestinée de la Sainte Face, il trouva refuge dans un souterrain qu’il avait aménagé sous une grange, près de la BorieGrande, où il fut délogé par dix gendarmes que Baptiste Séguy, son fermier, avait été forcé de renseigner. Après une nuit passée dans une cabane, sur la route qui sépare Nasbinals d’Aubrac, puis une halte à Espalion dont la population avait été invitée à ne pas mettre les sabots dehors, Charrier arriva à Rodez où l’attendait une série d’interrogatoires citoyens :
«Pour quelle cause avez vous été arrêté?
Pour un armement fait dans le département de la Lozère. Quel but avoit cet armement?
De rétablir la religion catholique, apostolique et romaine. Votre demeure?
Les bois et les montagnes.
Avez vous quelques correspondances avec les révoltés de la Vendée?
Non. »
Mais Charrier ne manqua jamais de correspondance avec les contrerévolutionnaires rouergats, paysans, nobles ou bourgeois qui le suivirent, les Pourquery, chefs des « brigands du Bourg », Levasseur, chef des « brigands de Mandailles », les frères Bastide, de Laissac, Mercier, Bach, de Saint- Geniez, Pons Couffoulens, de Saint-Côme, Caplat, de Séverac, le chevalier de Salgues, gentilhomme des montagnes, ancien officier du régiment d’Enghien. Charrier connaissait bien le Rouergue, et en particulier Vergohac, près de Saint Georges de Luzençon, où il résidait souvent chez son beau-frère Valette, alors qu’il devait se faire oublier en Gévaudan.
À la veille de sa mort, il refusa la présence d’un prêtre jureur à ses côtés et rédigea un testament « au nom de la très sainte trinité », où il demanda le pardon de ses fautes à Dieu, l’intercession de « la très Sainte Vierge », de son « saint ange gardien », de tous les saints et saintes du paradis et de ses deux saints patrons. Il remercia «les autorités constituées et les gardes nationaux de la ville de Rodez », le tribunal qui a innocenté sa femme, en partie grâce à l’intervention de son vieil ennemi le marquis de Châteauneuf Randon, député de la noblesse gévaudane à la Constituante et républicain zélé. Alors que son épouse était enceinte d’une enfant qu’il ne connaîtrait pas, Charrier lui demanda pardon pour les tourments endurés. Enfin, il légua à son « concierge » Ginad son uniforme royal et à son beau-frère cadet ses épaulettes, bien que ce dernier, patriote, eût toujours raillé son combat.