l'Aveyron à Paris Livres

Les Auvergnats de la Bastoche

 » La Vie Musette n’existe plus à Paris ! « 

 

Vous ne digérez toujours pas la disparition de l’ambiance populaire de la rue de Lappe qui a suivi l’édification de l’Opéra Bastille ?
Ce livre, je l’ai commencé quand j’ai vu l’érection de l’Opéra Bastille. Je me suis dit, on ne peut pas laisser disparaître tout ça, il faut écrire l’histoire de la Bastoche. La rue de Lappe, son milieu et ses dancings musettes, c’était le peuple de Paris. Je le sais bien, même avant « l’opéra-blockhauss », la rue de Lappe mourrait doucement. Il y avait encore ses principaux dancings, Balajo, Boule Rouge, Petit Balcon, et elle restait encore mal fréquentée. L’Opéra et tout le chambardement qui a suivi ont certes apporté un peu de sang neuf mais la spéculation immobilière a changé l’âme du quartier. Même si la Bastille attire tous les soirs des foules de jeunes, ce n’est plus le même quartier.
Le travail besogneux du ferrailleur ou de l’ébéniste, voisinant avec l’oisiveté du souteneur…on a l’impression que la plupart des Auvergnats ont su résister aux chemins de traverses, à être imperméables aux tentations du milieu ?
Les Auvergnats ont la qualité d’être âpres au gain et de ne pas rechigner au travail. Ils s’en sont tenus là. Sans éprouver le besoin de devenir gangsters….

bastoche_duboisJustement, ils auraient pu suivre une trajectoire similaire à celle des Siciliens de la Cosa Nostra, avec ses parrains, ses familles, ses territoires et la mainmise sur les affaires par le racket ?
Même si on a pu parler de « mafia auvergnate » à l’occasion d’un ou deux faits-divers liés à la « banque auvergnate », il y a une vingtaine d’années, ça s’est arrêté là.
La différence avec Cosa Nostra doit venir sans doute des cultures à l’œuvre dans les sociétés méditerranéennes avec ses traditions d’honneur et de vengeance, et parfois de cette volonté de faire régner la terreur par le sang. On retrouve ça parfois chez les Corses. Pas chez les Auvergnats. Et puis contrairement à des pays récents comme l’Italie, la France est depuis longtemps un pays centralisateur, imprégné par des valeurs communes. Autrefois le service militaire favorisait cette intégration et la transmission des valeurs républicaines quelle que fut la région d’origine des citoyens.
Vous rendez hommage à Jo Privat ?
En 1979, j’ai écrit les mémoires de Robert Lageat. Le patron du Balajo était un ancien champion de catch mais celui qui tenait la maison et faisait office de videur c’était Daniel Schmitt. C’était un ami qui m’a fait connaître tous les gars du milieu. En 1981, j’ai rencontré Jo, et nous sommes devenus amis. En plus de l’accordéon c’était un formidable « argotier ». Un après-midi avec lui vous donnait le tournis, tellement il vous en racontait. Une vraie mitraillette.
Vous semblez penser que le Musette a déserté Paris ? Pourtant on assiste au retour du Jazz Manouche dans les bistrots ? Alors pourquoi pas le Musette ?
Évidemment, on peut encore entendre du musette et du manouche dans les bistrots. Au fond, je m’en fiche un peu de la musique. Ce qui a disparu, c’est l’ambiance, « l’esprit musette ». Il n’y a plus de bals, on ne danse plus. La vie musette n’existe plus à Paris. Aujourd’hui, les bons accordéonistes que je connais sont maîtres d’école. Avant, les musiciens de la rue de Lappe étaient souvent des « julots », ils avaient leurs « protégées » sur le trottoir.