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Jean-François Rouquette, chef du restaurant les Muses

rouquette1Un homme d’action
Avec son physique de rugbyman et sa gueule carrée, il aurait fait un beau motard de la gendarmerie. Mais sa belle carcasse sert aussi à merveille un caractère de chef. Celui d’un restaurant deux étoiles Michelin de Paris. Pour le plus grand plaisir de ses clients.

Ici, dans les cuisines des Muses à partir de 12h30 heures, c’est la guerre. A la tête d’une brigade de 25 personnes –apprentis, poissonniers, sauciers, pâtissiers- , Jean-François Rouquette monte au front avec panache.
Il aime ça les défis, la pression extrême concentrée sur un court moment et vécue à plusieurs. Que ce soit au foot, au judo, ou en cuisine, ce type est un compétiteur né.
Pour lui, la cuisine n’est pas une aventure individuelle. D’ailleurs ses métaphores préférées flairent le monde de “l’ovalie“ : «Il faut être humble dans la victoire et solidaire dans la défaite.» Sa très longue expérience des fourneaux des grandes maisons étoilées lui a appris à détecter très vite une fragilité du moment chez un membre de l’équipe pour venir l’épauler.
«On y va ! On y va ! Faites-moi marcher un sanglier et deux rougets ! »
« Ouais ! » répond en écho la cuisine. A l’action, il est tel un rappeur. Au lieu de scratcher sur les platines, il dresse les assiettes. Et de sa voix de stentor, il donne le tempo et imprime le rythme du ballet de maîtres d’hôtel et des poêles en cuivre sur les fourneaux.

Deux heures durant, il maintient la pression maximum. S’il garde un œil sur la cuisine gastronomique des Muses avec ses assiettes aux matières mises en scène comme des œuvres d’art par son second, William, il donne un coup de main sur les assiettes destinées au Jardin des Muses (la brasserie de l’hôtel Scribe).
« Tous les clients sont importants quel que soit le prix qu’ils payent.» C’est sa devise. Et de fait depuis qu’il a repris cet été les fourneaux de ce grand restaurant de l’Hôtel Scribe, il réussit à faire salle pleine, midi et soir dans les deux salles.

Un type, planté dans ses racines
A lire le chapitre « Viandes » de la carte des Muses, on ne peut pas se tromper sur les origines du bonhomme : agneau d’Aveyron, bœuf d’Aubrac… «L’aligot, les tripous, la fouaces ou les fraises de Sainte-Eulalie, à douze ans, ça passe au dessus de la tête. C’est plus tard que ça revient, comme les souvenirs des foins avec le grand-père. Moi, j’ai les deux pieds dans la terre, et j’essaye de faire des plats qui correspondent à ma personnalité. » Attention, Rouquette n’est pas un intégriste du terroir. «Il ne s’agit pas de changer l’aligot. En revanche, on peut lui faire sublimer un plat, par exemple en accompagnement d’un agneau roulé dans sa graisse. »

rouquette
Au-delà des saveurs rouergates, il emprunte à la gastronomie française ses produits nobles, caviar, huître, foie gras, mais il lui évite son côté empesé qui lui est souvent accolé en innovant sur les saveurs et les textures. Ainsi de sa crème brûlée au foie gras qui rallie tous les suffrages. Mais il pousse le goût de l’innovation, en tant que chef de l’hôtel Scribe, en revisitant toute la carte du Room service. Un club sandwich cela n’a l’air de rien. Mais cela joue aussi terriblement dans la réputation d’un hôtel quatre étoiles. Par exemple pour des amants en mal d’en-cas entre deux rounds d’amour fou ou sensuel dans un grand hôtel parisien.

Une carrière à l’Aveyronnaise

Observer Jean-François Rouquette dans la chaleur de l’action devant les fourneaux des Muses fait oublier les grandeurs et les servitudes de la grande cuisine française. Médiatisée à outrance, cette saga qui mêle talent, médias et finances a récemment connu des épisodes dramatiques, comme l’illustre le suicide de Bernard Loiseau.
Les racines aveyronnaises, semblent, d’une certaine façon préserver de tels déboires. Cela semble être le cas pour les chefs du pays, Michel Bras, et ses homologues à un macaron : Auguy, Fagegaltier ou Truchon. Tous conduisent un parcours gastronomique construit sur sur les racines mais sans tomber dans le traditionalisme désuet. Cela semble également vrai pour les chefs aveyronnais de Paris comme Jean-François Rouquette. Il a été à bonne école pour éviter de croire en l’esbroufe où plus dure est la chute. «J’ai eu une carrière crescendo, explique ce jeune homme de 38 ans, père de deux enfants. Les gens savent que je suis carré, c’est ce qui m’importe. Je suis toujours parti sur les principes que l’honnêteté et le travail payaient. J’aurais pu gagner cinq ans avec des bonnes connexions mais c’est mieux ainsi. »

Bio Express:
Son grand-père venait d’Espalion. Il tenait un bar boxing-club près de la Porte d’Asnières où passait combattre parfois Marcel Cerdan. Il décida ensuite de s’installer dans une brasserie dans le Val d’Oise. De fait, Jean-François Rouquette fils et petit-fils d’Aveyronnais de Paris, aurait dû en toute bonne logique poursuivre dans cette voie et se retrouver à la tête d’une brasserie. «Dès que j’ai été à la hauteur, j’ai commencé à faire les cafés dans la brasserie paternelle de Montlignon, (95) ; ensuite vers 12 ans j’ai commencé à tâter de la pâtisserie. Ca m’a donné le goût de la cuisine. C’est ce qu’il y a de mieux pour faire aimer la cuisine à un enfant plutôt que de lui demander de vider des truites. »
Ensuite, école et parcours comme apprenti, d’abord au Petit Riche dans le 9e arrondissement, puis au Crillon. «Quand on est deuxième commis, dans une brigade de 60 types, mieux vaut serrer les dents. Psychologiquement, c’était dur. Je n’aime pas ce type de management par la douleur.
Heureusement, je suis tombé sur des chefs – peut-être durs- mais qui avaient le souci de m’apprendre le métier. Après le Crillon, Jean-François Rouquette enchaîne les collaborations chez d’autres grands noms : le Martinez à Cannes, Taillevent, le Grand Véfour avant de revenir au Crillon comme chef adjoint. Puis il passe six ans à la Cantine des Gourmets-Le Bourdonnais, qui il fait décrocher une étoile Michelin. Depuis septembre 2003, il est donc chef en cuisine, d’un “deux macarons“, les Muses, et il a déjà conquis pas mal de palais exigeants de Paris. Affaire à suivre.