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Aimé Guibert propriétaire et fondateur du Daumas Gassac

Les Aveyronnais ont le chic pour troubler l’ordre établi même lorsqu’il s’agit de celui des multinationales. L’hebdomadaire américain Time Magazine daté du 18 juin 2001, relatait avec une condescendance teintée d’incompréhension la victoire d’un petit Astérix d’origine aveyronnaise, Aimé Guibert, contre un géant mondial du vin, Mondavi.

Ce dernier avait projeté de s’installer en Languedoc dans la région d’Aniane. Les grands élus locaux lui avaient accordé un bail à long terme escomptant un développement économique pour la viticulture locale. Le projet est tombé à l’eau devant l’opposition de la population locale.

 Et Time Magazine, très loin de la nature, du goût du vin et des autres choses qui font encore la civilisation européenne mais très au fait des réalités économiques de s’interroger sur cette aberration économique consistant à refuser le progrès économique sous prétexte qu’il vient d’un géant américain du vin.
Aimé Guibert, propriétaire et fondateur du domaine Daumas Gassac, fait entendre un autre son de cloche : «Mondavi est venu me voir plusieurs fois avant la bataille politique. Je l’ai même encouragé à s’installer. Mais le jour où j’ai appris que les politiques du Languedoc lui avaient promis une forêt protégée de 2000 hectares plantée sur les coteaux, je me suis battu. Cette forêt donne la fraîcheur de l’air, la qualité de vie, offre les joies de la chasse et des champignons. Pas question de l’arracher. » 
«Si Mondavi s’était installé, ma fortune était faite. Car il aurait été obligé de chanter ma gloire pour se fortifier. Entre l’argent et la forêt, j’ai fait mon choix.»

 

Sans le succès de Daumas Gassac, Mondavi aurait-il d’ailleurs choisi de s’implanter à Aniane ? «Daumas-Gassac c’est la pierre fondatrice de la prospérité vinicole du Languedoc. » explique Aimé Guibert.

Nul ne peut contester qu’il s’agit là d’une des réussites les plus originales et spectaculaires dans le monde du vin de ces trente dernières années.
Il fallait du culot pour arriver au début des années 70 et planter sur des coteaux des cépages différents, comme le viognier, le chardonnay, le petit manseng en plein pays du pinard planté en plaine. Dans le coin d’Aniane, Aimé est longtemps passé pour un ”fada” pour avoir suivi à la lettre l’avis d’un autre Aveyronnais, Henry Enjalbert, un ponte de la géologie, qui l’avait convaincu que la nature pauvre du sol des coteaux autour de son vieux moulin d’Aniane avait toutes les caractéristiques pour donner un très grand cru. Il lui a fallu ensuite supporter les ricanements lorsque, dans les salons, il annonçait les prix – élevés – pour son vin classé Vin de pays.
Nul n’est prophète en son pays ! C’est donc à l’étranger, en Angleterre notamment, que le Daumas Gassac a rencontré une clientèle d’amateurs. Et le début de la gloire avec des articles élogieux dans les grands critiques anglo-saxons du vin. En France, médias et grandes institutions ont finalement bien été forcés de saluer le phénomène.

L’homme dit tout en quelques mots simples des débats qui agitent la planète du vin sur ses cinq continents. Un débat qui a manifestement échappé au journaliste de Time dont le seul étalon valable semble être le dollar.

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«Quand on regarde la terre, il faut choisir sa position. Veut-on être « moderne » comme un Australien, qui va planter sa vigne pour 15 ans et la forcer à produire massivement 35 000 kg à l’hectare. Et qu’importe alors si le jus manque de sucres, d’acides, d’arômes, on s’en occupera ultérieurement. On va recourir à une œnologie industrielle pour que le produit conserve une parfaite stabilité même sur un million de bouteilles. Ou veut-on être vigneron traditionnel, que sa vigne vive 90 ou 100 ans, et même si pour cela, elle produit dix fois moins, moins de 4000 kg à l’hectare. Mais je vais recevoir de la nature, non un vin mais un millésime marqué par le sol, le climat, les conditions d’une année et très peu par l’homme. »

Même s’il exporte une grande partie de son nectar, Aimé est un adversaire farouche de la mondialisation. Elle l’a déjà mis au tapis une fois. Ce Millavois huguenot –qui qualifie Louis XIV, « d’Hitler du 17ème siècle » en souvenir de ces ancêtres enterrés dans les bois- était jusqu’en 1984, à la tête d’une des plus belles affaires de cuir de Millau. Chacun sait que le travail du cuir conféra à Millau une renommée inégalée. En 1985 , Aimé Guibert est obligé de déposer son bilan.

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«L’industrie française du cuir fut la première victime de la mondialisation. En un an, 100 000 travailleurs ont été fauchés lorsqu’on décida en 1985 d’ouvrir marché du cuir aux produits Coréens pour favoriser la conclusion d’un contrat aéronautique. »

Avec Daumas Gassac, l’industriel du cuir est devenu un paysan sûr de son combat : celui de sauver le lien qui unit l’homme à la terre. «Tout ce qu’il y a de riche et de fécond en Europe vient de la terre. La paysannerie a créé le paysage, les courbes de niveaux, les églises romanes, tout ce qui fait la beauté de la civilisation européenne. Voilà ce qu’il faut sauver. Pour cela, il faut délivrer la planète des multinationales» explique ce membre actif de la de la Confédération Paysanne de José Bové. L’écouter n’incite pourtant pas à l’optimisme. «Le siècle actuel sera celui où il y aura plus de misère humaine. Il suffit de voir la manipulation actuelle sur les cours du café par les monopoles qui aboutit à une division des prix par deux. C’est toujours le même cirque à la gloire de l’argent et le mépris de l’homme… ».

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L’un des vins de pays les plus réputés au monde -et l’un des plus chers- de France est celui d’un Aveyronnais qui vient de défier un géant mondial du vin. Voilà encore quelques jours, en cette période qui précède les vendanges, Aimé Guibert, était pris dans les affres passant et repassant dans ces travées de vignes, observant telle grappe de Merlot, picorant ici et là un grain de syrah.